La revue TEQUE, spécialisée dans le rapport entre technologie, vie et pensée, publie son premier numéro. L’ouvrage, au format livre de poche, recueille essais, textes critiques et littéraires qui questionnent le Web, notre rapport aux réseaux sociaux et aux plateformes.
TEQUE cherche à éviter à la fois la posture techno-critique et la posture techno-optimiste. Elle préfère penser la technologie comme inscrite dans nos vies et dans les mots. Ce premier numéro rassemble cinq textes traduits par Sophie Garnier et Hervé Loncan. Chacun, à leur façon, s’attèle à penser notre intérêt et notre usage de la technologie. Lisez-les ! C’est délicieux !
La revue rassemble des écrits qui tous abordent notre rapport au monde du Web. L’originalité de cette publication tient dans le fait qu’elle rassemble des textes de formes très diverses. Certains font appel à des théories philosophiques, sociologiques, d’autres s’appuient sur leur expérience personnelle, d’autres mènent des enquêtes de terrain.
Questionner le web
Qu’est-ce qu’un algorithme ? Voilà une des questions communes abordée dans ce premier numéro. Silvio Lorusso dans Liquider l’utilisateur explique comment un algorithme est capable d’enregistrer les préférences des utilisateurs et de proposer des contenus ciblés et des publicités adaptées grâce à des calculs complexes. L’algorithme est ainsi alternativement perçu comme un conditionnement ou comme une réponse à la simplicité recherchée par l’utilisateur comme l’écrit Rob Horning dans Politique du Scroll. Même la platerforme Parcoursup, créée par le Ministère de l’Éducation Nationale, y a recourt. Le texte d’Huber Guillaud dans Un monde inexplicable, témoigne de l’incompréhension de ceux qui doivent s’inscrire sur cette plateforme. Ils ne connaissent rien des calculs réalisés et qui, pourtant, détermineront leur orientation dans l’enseignement supérieur.
Une manière pour nous d’observer comment les technologies font monde et de dégager un double horizon pour leur critique : saisir en détail leur fonctionnement et ses conséquences, les réinscrire dans des histoires bien plus vastes, de la pop culture à la bureaucratie.
Préface, Revue TEQUE
Quels sont nos comportements face à ces réseaux ? Rob Horning dans Politique du Scroll montre que le risque est de tomber dans une logique capitaliste du « fun ». Celle-ci consiste à créer de l’insatisfaction et à faire dépendre le plaisir de la consommation. Marlowe Tatiana évoque, pour sa part, la peur du shadowban qui consiste à voir ses publications censurées, son nombre de like baisser et son audience s’écrouler.
Esthétique des réseaux
La revue ne propose pas uniquement des essais théoriques. On est, par exemple, invité à suivre la découverte du réseau TikTok par Marlowe Tatiana dans Mes années TikTok. Elle décrit une esthétique particulière (vidéos chorégraphiées et virales) et ses ressemblances avec d’autres phénomènes de la pop culture. La célébrité soudaine de TikTokeurs lui rappelle certaines icônes révélées par MTV dans les années 1990.
Dans les médias organisés par des algorithmes, nous percevons l’activité d’autres personnes et nous sommes même “connectés” à eux, mais toujours derrière le voile du traitement perpétuel des données.
Politique du Scroll, Rob Horning
Un autre texte est une surprise : Facebook n’apprend jamais rien rédigé par Karen Hao. Une enquête menée au sein de l’entreprise Facebook durant laquelle l’auteur a interrogé les employés sur la politique de l’entreprise. Il rapporte par exemple qu’un des critères de calcul de la croissance de l’entreprise est le L6/7. Le L6/7 est « la part de personnes s’étant connectées à Facebook six jours sur les sept précédents ». Aussi, il montre que malgré la création de divers groupes de travail créés, l’entreprise ne semble pas parvenir ou vouloir réguler les biais dangereux de certains algorithmes comme « un algorithme qui ne montrerait certaines annonces d’emploi ou de logement qu’à des personnes blanches et non aux minorités ».
La pertinence de la démarche de cette revue est de poser des questions plutôt que de bannir ou de célébrer le monde virtuel. Pour lutter, ni la transparence absolue, ni la régulation de la technologie par la technologie ne viendra à bout des biais algorithmiques. Ne prenons pas les êtres pour des chiffres ! Essayons d’injecter une considération humaine qui prenne en compte accidents et aléas de la vie face aux calculs statistiques. La question pourrait-être : quelle est notre marge d’action face aux mises à jour, logiciels et algorithmes qui organisent les plateformes sur lesquelles nous surfons ?
Revue TEQUE 1, Samuel Aubert (directeur de publication), 10 euros.