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NFT, en mode greenwashing ?

© Valentino

Comment rester d’actualité à l’heure de l’hyperconnectivité ? Les grands noms du luxe misent sur les NFT, balayant sous le tapis préoccupation écologiques et questions éthiques. Bienvenue dans le monde 3.0.

Au beau milieu de la plaza du Horizon Worlds, le métavers de Facebook, je croise un miroir. Mon regard virtuel se fige face à ce spectacle désolant. Mon voyage dans le futur du web se solde d’une déception : même mon avatar Habbo avait plus de style. Je pars en quête d’une tenue digne de la modernité de mon environnement, mais rien ne semble à la hauteur de mes espérances. Il faudrait que je mette le prix pour espérer porter autre chose qu’un t-shirt gris – plus livide que mon visage après deux heures sous mon casque de VR.

Pour l’industrie de la mode, mon ambition stylistique n’a rien d’une nouveauté : plusieurs grandes maisons de luxe se sont déjà lancées dans la production d’objets numériques, notamment pour des jeux vidéo. En mai 2020, Valentino et Marc Jacobs décident de faire de Animal Crossing : New Horizons leurrunaway de confinement privilégié et profitent des vastes possibilités de création du RPG le plus célèbre du monde pour pallier à l’annulation brutale de la fashion week.

Différentes tenues exclusives à destination d’avatars virtuels ont donc été dessinées. Soudain, ces innovations dépassent l’aspect éphémère de la situation sanitaire, déclenchant un soulagement général : et si ces nouvelles manières de se vêtir nous offraient surtout la possibilité d’aimer la mode sans détruire socialement et écologiquement la planète, en ne sur-produisant pas des matériaux hautement polluants ? 

Mais pour le monde du luxe, l’enjeu est avant tout marketing. C’est là qu’interviennent les NFT. Révélation majeure pour l’industrie de la mode, les NFT – ou « jetons non-fongibles », c’est moins sexy – sont des contenus non reproductibles et non échangeables (contrairement, par exemple, à un fichier jpeg déclinable et enregistrable à l’infini).

Le statut particulier des NFT est garanti par la blockchain via laquelle les transactions se réalisent. Impossible cependant d’en obtenir sans crypto-monnaie, ni en seconde main. Ces objets numériques ne sont pas accessibles matériellement, mais sont complètement uniques cette innovation change la donne, et permet de créer des éditions de pièces de luxe de plus en plus limitées et attractives.

L’impact écologique déguisé des NFT

Les grandes marques s’emparent des biens non-fongibles pour se rendre plus attractives aux yeux des jeunes consommateur·ices. Les enseignes les plus réputées poussent les NFT sur le devant de la scène à grands coups de campagnes imprégnées de marketing vert. Selon LVMH, avant-gardiste du fashion NFT, nos vêtements numériques sont bons pour l’environnement et sapent la production de masse… ou presque.

En grattant le vernis – biodégradable ? – de ces opérations promotionnelles chorégraphiées de A à Z pour plaire à un public plus sensibilisé à l’urgence climatique, la réalité du système de NFT rouille petit à petit la mécanique bien huilée de ces marques. La multiplication des serveurs de la blockchain, nécessaires à la création des NFT, participe à rendre ce système obsolète avant même sa généralisation : il n’y a rien de plus polluant qu’un data center… mais la blockchain, décentralisée, en nécessite des millions, dont la surchauffe perpétuelle demande une climatisation constante.

Les vêtements 3.0 coûtent chers, et pas seulement en bitcoins. Face au bilan carbone alarmant que suscite le moindre minage de NFT – qui équivaut à un trajet entre 800 et 1000 kilomètres en voiture – on regrette l’absence d’un Vinted de l’objet non-fongible : il est impossible de recycler ces biens virtuels, et donc hors de question d’amortir leur impact environnemental en leur offrant une seconde vie. Dans Horizon Worlds, j’accepte mon sort : le t-shirt gris gratuit du métavers à de beaux jours devant lui. C’est Mark Zuckerberg qui va être ravi.

Louna Maurice-Amisse et Camille Gho

Journaliste

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