CINÉMA

« Municipale » – Cinéma du réel

Municipale
© Rezo Films

Sélectionné à L’ ACID en 2021 au Festival de Cannes, Municipale de Thomas Paulot est une étrange expérience de cinéma. Le cinéaste filme un comédien au visage inconnu, embauché pour se présenter aux municipales de la ville ardennaise de Revin. Grâce aux habitants, une fable politique va se construire sans frontière entre la fiction et le documentaire.

Quand il descend de ce train de la région Grand-Est en provenance de Paris, le visage de Laurent Papot, comédien, nous évoque peu de choses. Pourtant – entre autres -, en 2017, il était à l’affiche de l’excellent premier long-métrage de Vincent Macaigne, Pour le réconfort, également soutenu par l’ACID. Il y déployait déjà un jeu brut et étrange qu’il transforme avec aisance. Mais pour les habitants de la ville de Revin, dans les Ardennes, un inconnu parisien débarque dans l’ancien bar Le Celtique pour en faire un QG de campagne. Lui non plus ne connait pas Revin. Il est acteur. Il est embauché. C’est son métier. Mais ici, dans Municipale, l’expérience apparait plus inédite encore. Et pour cause, le cinéaste Thomas Paulot et ses co-scénaristes – ici conseillers de campagne – Ferdinand Flame et Milan Alfonsi s’amusent avec le réel avec une véritable idée politique en jeu.

Peu à peu, pendant que Laurent Papot investit – non sans comique – pleinement son rôle d’acteur candidat, la réalité remet perpétuellement le scénario en jeu. Les habitant.es écrivent involontairement ou pas le film. Très vite, Municipale répond à la question qu’iels se posent et que les spectateur.rices vivent comme un suspens dramatique. Laurent Papot n’ a pas de programme à offrir. Mais s’il parvient à obtenir une liste et à gagner l’élection, il laissera son siège de maire au Revinois.es. Les clés d’une ville offerte en autogestion comme pour remettre la démocratie au sens étymologique du terme sur la place (demos : le peuple, kratein : commander).

Et d’un dispositif nait le cinéma

Le dispositif scénaristique de Municipale inscrit cette utopie dans un territoire local. En rencontrant les habitant.es, Laurent Papot reçoit les doléances de cette ville où les industries ont déserté et le chômage s’est propagé. Dans les réunions publiques où chacun.e peut venir participer, les paroles fusent. Il y a ceux qui ne votent plus, ceux pour qui il y a un fossé entre eux et les représentants politiques, ceux comme les gilets jaunes qui tentent de rassembler, ceux qui ont tenté par le passé mais n’ont pas réussi, etc. Thomas Paulot laisse la vie entrer dans ses images. Car ce qu’il y a de plus saisissant dans cet ovni cinématographique, c’est comment malgré l’échec de création d’une liste, Laurent Papot incarne son rôle profondément et nous emmène avec lui dans cette immersion entre réel et fiction.

Le confinement vient lui aussi bouleverser le projet. Et la dernière partie du long-métrage se concentre sur les liens forts qui lient l’acteur et certains habitants. Un humanisme total et profond s’empare du récit car si la localité n’est pas encore prête à prendre le pouvoir collectivement, l’idée de vivre ensemble apparait plus forte que jamais et le débat toujours vif. La beauté du film nait véritablement de cet assemblage où la fiction et le documentaire se répondent perpétuellement, construisant en symbiose un cinéma d’accidents à la fois hors temps et ancré dans le réel. On en ressort aussi bouleversé et plein d’espoir que les Revinois.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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