LITTÉRATURE

« Les carnets du Lama Hydrozen » – poésie et aphorisme

Les Carnets du Lama Hydrozen
Les Carnets du Lama Hydrozen © Editions de l'Arbre Vengeur

C’est un portrait désopilant et mélancolique de notre époque que nous offre Les carnets du Lama Hydrozen de Vincent Vigneron. Usant de la forme brève de l’aphorisme, l’auteur compose une mosaïque de situations cocasses, d’images inattendues et de conseils de bon sens à celles et ceux qui le lisent. 

«  Bel auteur sous plafond  ». Par ces mots, l’auteur s’expose, avec humour, comme un être qui devient, souffre et rit de sa condition toute humaine. Ce recueil d’aphorismes s’inscrit certes dans la tradition du genre (Nietzsche, Pascal, Cioran) mais Vincent Vigneron trouve un style singulier et un ton bien à lui. Il nous fait, rire, pleurer et penser. 

Une poétique de la brièveté

La forme concise de l’aphorisme dans Les carnets du Lama Hydrozen suffit à exprimer une idée, à dessiner une image étrange ou à raconter une anecdote. La phrase fait image par l’économie du verbe provoquant l’intensité du propos  : «  Ce morceau de chair qui est un thermostat  ». Entre recueil de poèmes et journal intime, nous sommes plongés dans les thèmes chers à la poésie que le poète se charge de déplacer, de moquer ou de reprendre dans leur aspect prosaïque  : «  Organisme, magnifique jouet fourni sans pile AA  ».

«  Tailler la route avec le minimum nécessaire  : une tabatière, un jean délavé et un vers d’Aragon  »

«  Veuillez ne pas bouger un cil pendant le téléchargement des données  »

«  Faites une prose en cas de fatigue  » 

«  Le certificat de naissance, mon seul diplôme  » 

Les carnet du Lama Hydrozen, Vincent Vigneron

L’auteur se joue des dictons et des principes de vie pour contrer le moralisme de la maxime. Il subvertit leurs codes en s’appuyant sur ses expériences quotidiennes. Le poète s’attache à déjouer les usages traditionnels de la langue et travaille les mots comme des pierres précieuses. Pour cela, il mêle sonorités et images et use d’un vocabulaire qui oscille entre mots simples et mots savants. Ainsi, nous croisons, au cours de la lecture, les mots «  chryséléphantine  », «  appoggiature  » ou encore «  sédimentale  ». La forme brève est aussi l’occasion de formuler des petits préceptes de bon sens. «  Ce que tu appelles sérénité n’est qu’une sorte de mélancolie qui s’accepte  » ou «  Dans un monde narcissique les rares êtres qui ne cherchent pas à être extraordinaires le sont  ».

La traversée d’un monde

Vincent Vigneron tisse, avec tous ces aphorismes, un monde. On traverse différents âges et époques : celle de Clovis à celle du Japon féodal jusqu’à l’ère soviétique. La lecture nous embarque de la Cordillère des Andes à l’Himalaya en passant par le quartier d’Hollywood. Au détour du chemin, on croise un vélociraptor, un crocodile, un dromadaire, un perroquet ou un cacatoès. Des objets de piété tel le prie-Dieu surgissent. On assiste à une messe noire et l’auteur s’amuse  : «  Les réponses de la religion aux questionnements humains sont à peu près aussi variées que la cuisine inuit  ». 

Dans ce monde, un musée imaginaire prend forme autour de Breughel, Sophie Calle, Cocteau, Rothko, Jeff Koons ou le facteur Cheval. L’auteur s’invente un voisin qui fait fortune dans une galerie en le photographiant dans son appartement mais se présente aussi, parfois, comme artiste potentiel. Il rédige des protocoles d’œuvre à réaliser.

Le projet artistique. 1 salle de musée, 1000 rubans tue-mouche, 100 000 mouches lâchées. C’est une œuvre organique et aléatoire. Le vernissage ne doit pas avoir lieu le jour du lâcher.

Les carnet du Lama Hydrozen, Vincent Vigneron

Cependant, la tanière principale, celle à laquelle il revient sans cesse, est le lieu douillet du lit et du sommeil. On est d’ailleurs aussi mis au fait des péripéties de son corps  : ses tatouages, ses douleurs comme ses maladies. Une liste non-exhaustive d’affections nous est proposée au fil des pages et il se résout à finalement donner une définition cocasse de la santé :«  La santé, une voiture qui roule sans bruit  ». La pensée est aussi passée au crible de l’analyse : «  Ressasser les mêmes pensées, escarre mental assuré  ». Concernant l’amour ou le désir, voici quelques recommandations qu’il s’adresse : «  Apprendre à étreindre. Sinon les bras ne servent à rien  » ou «  Je te fais attendre mais pas trop, histoire que ton désir soit al dente  ». 

Un humour caustique 

L’auteur crée des images drolatiques et incongrues, rendant folle la syntaxe et absurde le sens. Ses traits d’esprit font s’entrechoquer les mots qui laissent planer un humour noir et grinçant. Tournons en dérision nos existences  ! «  Aimons-nous les Huns les Ostrogoths  ».

Cet humour caustique attaque les injonctions à la consommation capitaliste : « Même pendant l’amour tu penses aux calories à brûler ». Des affirmations philosophiques sont moquées : « La vérité, c’est l’open data » ou celle-ci délicieuse « Steak de raison pure au menu de la kantine ». Il postiche les manières de l’astrologie et les tournures de politesse ou ausculte nos pratiques technologiques : « Google nous regarde (avec ses deux O en forme de jumelles)  ».

Il s’amuse de nos modes de vie contemporains en faisant boiter le langage et en créant une impression de grotesque. Mais, Vincent Vigneron est loin de manquer d’autodérision et se passe lui-aussi à la casserole de l’auto-critique. Enfin, c’est son lectorat qu’il interpelle créant ainsi une certaine connivence. Il lui propose des devinettes (« qui suis-je ? ») ou des exercices d’écriture. 

Les carnets du lama hydrozen rinpoché tels qu’ils furent découverts dans une braderie de Liège (puisque tel est le titre entier du livre s’étendant sur la totalité de la couverture) de Vincent Vigneron est un ovni littéraire propulsé dans le ciel de notre époque. Ce livre donne envie de l’ouvrir au hasard et de le feuilleter au gré des humeurs. Une phrase arrête notre attention. On est tenté de la copier sur une feuille de papier. De la plier et de la glisser dans sa poche, comme un talisman. 

Les carnets du lama Hydrozen Rinpoché tels qu’ils furent découverts dans une braderie de Liège de Vincent Vigneron, Editions de l’Arbre Vengeur, 15euros.

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