Le scénariste Jean-Christophe Deveney et l’illustrateur PMGL s’engouffrent dans la brèche ouverte par l’écrivain Haruki Murakami et mettent en image plusieurs de ses nouvelles. Symptomatiques de son œuvre, elles gardent une thématique constante : ces moments fugaces où le surnaturel s’invite à la table des gens ordinaires.
Un petit employé de banque – plus très jeune, pas très grand, ni très beau – rentre chez lui un soir de semaine. Son métier ? Récupérer l’argent auprès des créanciers, pas glorieux. Son dernier rapport sexuel ? Il y a plus de trois mois. Et encore, c’était avec une prostituée. En entrant dans son salon, ce personnage tout droit sorti d’un roman de Houellebecq tombe sur un crapaud géant. Oui, un crapaud géant. Crapaudin de son prénom, « pas la peine de dire Monsieur Crapaudin, juste Crapaudin, ça ira », assure le batracien.
L’homme, seul, petit, ignoré, est, d’après crapaud, loyal, fiable, stable, qualités essentielles pour combattre l’immonde Lelombric, un ver de terre qui vit dans le sous-sol de Tokyo et pourrait provoquer un séisme meurtrier. « J’ai besoin de vous pour le combattre » affirme Crapaudin et voilà que ce petit homme solitaire est subitement investi d’une mission qui le dépasse.
Balayer l’ordinaire
Dans cet album volumineux aux couleurs blafardes – on le croirait éclairé par un réverbère – les histoires, toutes adaptées de nouvelles écrites par l’écrivain Murakami, multiplient ces incursions de l’étrange dans l’ordinaire. De l’employé de banque devenu sauveur potentiel de Tokyo à la Shéhérazade moderne qui garde son amant auprès de lui – même si le sexe n’est pas bon, même s’il ne l’aime pas vraiment – en lui racontant des anecdotes après chaque coucherie, en passant par le couple qui s’en va braquer un McDonald’s parce qu’il est frappé d’une malédiction. Ces drôles d’histoires à l’atmosphère un peu moite mettent en scène des héros aux parcours bien ordinaires soudain frappés par une résurgence de l’étrange : preuve ultime qu’ils sont bien en vie.
Deveney et PMGL parviennent à restituer avec grâce la solitude des grandes villes japonaises, où l’individualisme triomphe, malgré les fortes densités de population. Mais aussi, un rapport à la nature que les occidentaux ne peuvent pas connaître. La sensation, fugace, d’être plus proche que l’on ne le pense de la nature, qui n’est jamais très loin et menace de rompre à tout instant l’équilibre du pays. L’omniprésence des catastrophes naturelles rapproche les Japonais de la nature et du vivant, comme une donnée jamais négligeable de leur existence, comme le narrait Catherine Meurisse dans La jeune fille et la mer.
Une histoire par soir, c’est le rythme qu’impose les quatre cents pages de cet opus. Une histoire par soir pour mieux repousser les frontières trop rationnelles de nos existences. S’imaginer qu’il y a un salut possible. Quatre cents pages pour croire au miracle et au glauque, pour croire que le monde est un peu plus vaste que l’on veut bien l’imaginer.
Haruki Murakami, Le septième homme et autres récits, éditions Delcourt, 34,95 euros.