CINÉMA

« Great Freedom » – D’ombre et de désir

Great Freedom
© Freibeuterfilm Rohfilm

Le deuxième long métrage du réalisateur autrichien Sebastian Meise se construit autour d’un paradoxe  : la «  grande liberté  » du titre du film achoppe sur son genre, celui du drame carcéral. En salle depuis le 9 février, Great Freedom met en scène les allers-retours en prison de Hans Hoffmann. Homosexuel dans l’Allemagne d’après-guerre, son existence est illégale  ; c’est ce que stipule le paragraphe 175 du Code pénal.

Avec Great Freedom, Sebastian Meise corrige l’amnésie collective concernant la continuité partielle entre le régime nazi et l’Allemagne d’après-guerre. Rédigé en 1872, le paragraphe 175 du Code pénal allemand fut amendé dans le sens d’un durcissement par le régime nazi… et laissé intact par les gouvernements qui lui ont succédé. Hans Hoffmann (Franz Rogowski) est l’un des 100 000 hommes homosexuels traduits devant la justice en Allemagne de l’Ouest après la Libération.

Invariants politiques

En inscrivant son récit dans la durée, Sebastian Meise souligne intelligemment que ce que nous avons pour habitude de considérer comme une rupture historique et politique, ne l’a pas été pour tous. Incarcéré une première fois en 1947, Hans est libéré et incarcéré deux fois de plus par la suite. Il ne sortira définitivement qu’en 1969 lorsque les dispositions les plus graves du paragraphe seront abrogées.

Cette continuité s’inscrit à même la mise en scène. Certaines compositions ont le goût amer du tristement déjà vu. Lorsque Hans et ses codétenus se trouvent alignés sous la douche, c’est en effet l’image, fixe, qui fait le lien entre le présent du jeune homme (1968) et l’horreur des camps nazis dont Hans a lui-même été victime.

Great Freedom
© Freibeuterfilm Rohfilm

La liberté, au présent

Dans ce continuum historique de persécutions et de répressions, la présence de Hans en prison est discontinue mais fréquente. Elle permet à Sebastian Meise d’explorer les conditions d’une liberté incarcérée. Paradoxalement, l’existence contrainte de Hans pousse le cinéaste à se débarrasser des oripeaux métaphysiques de la liberté. Au cœur d’une très belle image sombre, celle-ci s’incarne à la fois dans les gestes et les regards subrepticement échangés.

Dire l’amour libre dans le sale, la honte et l’obscurité passe par la nécessité d’inventer de nouvelles formes d’expression. C’est ce que réussit avec talent Sebastian Meise jusqu’à la libération de Hans en 1969. Le réalisateur fait tenir un monde dans un regard échangé avec un jeune professeur gay, dans une étreinte clandestine dans le froid nocturne de la cour de prison, ou encore dans la main appliquée d’un camarade de cellule concentré à tatouer le bras matriculé de Hans.

Great Freedom
© Freibeuterfilm Rohfilm

Tout ce réseau de relations invisibles et libres s’écroule une fois Hans légalement autorisé à vivre sa sexualité. Alors que l’année 1969 rime pour beaucoup avec libération sexuelle, elle signe pour le film, la fin de l’invention formelle. Sebastian Meise juxtapose, au cœur d’un long plan-séquence, les corps nus des milieux interlopes gays aux paroles interprétées par Mouloudji de L’Amour, l’amour, l’amour . Et condamne ainsi la fin du film a l’anesthésie de l’explicite.

Toute la maîtrise de Great Freedom – et sa réussite imparfaite donc – tient justement en sa capacité à confronter, par l’image, ces corps dissimulés, brisés, toujours-déjà enfermés, à leur saleté et à toute l’histoire d’un désir trop longtemps asphyxié.  

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