CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2021 – « Les Poings desserrés » : S’aimer comme l’on se déteste

© ARP Sélection
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SÉLECTION OFFICIELLE – UN CERTAIN REGARD – La réalisatrice Kira Kovalenko nous mène dans la région qui l’a vue grandir, l’Ossétie du Nord, pour son long-métrage Les Poings desserrés. Un beau film qui porte un regard juste et cohérent sur la jeunesse ainsi que sur le sens de la famille.

Les Poings desserrés met en scène Ada (Milana Aguzarova), une jeune femme qui vit avec son frère, Dakko (Khetag Bibilov), et son père (Alik Karaev) dans un petit appartement d’une cité industrielle délaissée en Ossétie du Nord, région située au sud-ouest de la Russie à proximité de la Géorgie. Ada vit dans l’attente du retour de son grand frère, Akim (Soslan Khugaev), installé lui à Rostov. Elle espère qu’il l’aide à s’échapper de l’emprise de son père. Ce dernier refusant de lui laisser une quelconque liberté, a fait le choix de lui confisquer ses papiers. Il veut la garder toujours auprès de lui.

L’histoire des Poings desserrés est celle d’une famille qui se déchire, et qui peine à vivre ensemble, à se comprendre et à se considérer. Une famille où l’on ne sait plus s’exprimer, et où l’on ne sait plus comment aimer. Le mode de vie compliqué, l’ennui et la détresse affective semble s’en prendre à chacun·e d’entre eux·elles. Alors, chaque personnage parait être sans cesse poussé dans ses retranchements. La cinématographie poussiéreuse du film vient souligner cette vie âpre, cette vie dans une cité bercée d’attente et de solitude. Elle est à l’image de ces jeunes qui, au début du film, s’occupent en jetant des pétards sur la façade d’un immeuble amoché, ou en faisant des rodéos en voiture en pleine journée pour divertir le quartier. Il faut tuer le temps, faire quelque chose et exister avec les moyens du bord.

Dans ce récit, Kira Kovalenko fait aussi le choix de revenir de manière relativement évasive sur un épisode traumatique de l’histoire de l’Ossétie, et de Beslan plus spécifiquement. Une ville où une prise d’otage dramatique a mutilé et tué des centaines d’enfants en 2004. C’est le cas d’Ada, qui vit avec un handicap invisible de prime abord, qui l’empêche de vivre librement. Depuis ces évènements elle garde une blessure au niveau du bas-ventre. Confession qu’elle fait à Tamik lorsqu’iels se rapprochent tous deux. L’opération dont elle a besoin lui permettrait de retrouver le contrôle sur son corps, Contrôle qu’elle n’a plus. Une opération que son père lui refuse par négligence, mais qui met à mal toute la vie d’Ada et l’empêche de gagner confiance en elle.

La seule issue c’est partir, suivre ce frère qui a pris son envol et semble mener une vie meilleure ailleurs. Mais à quel prix ? Se détourner de sa vie actuelle, de ce que lui incombe son statut de femme, de Tamik. Ainsi que de sa famille, de son plus jeune frère très dépendant d’elle, et de ce père. Un père qu’elle aime malgré toute la haine qu’elle a pour lui. Les scènes de démonstration affective se veulent ainsi très touchantes, pudiques, souvent maladroites, pleines de justesse et de naturel. Ces scènes nous montrent ce lent et dense parcours pour réapprendre à aimer malgré la violence, mais surtout à pardonner et à appréhender l’autre.

Ada est face au comportement changeant de son père suite à un AVC. Tamik, quant à lui, prend une place grandissante dans sa vie. Les Poings desserrés est le récit d’émancipation d’une femme parmi tant d’autres, dont la vie n’a cessée d’être secouée, chamboulée. Mais sous nos yeux le film laisse progressivement éclore le personnage d’Ada, libre et vivante à nouveau.

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