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« À pleines mains » – Parler de cul sans parler de rien

À pleines mains
© éditions Dargaud

À pleines mains, avec ses accents pop et ses couleurs kitsch, devait signer un récit drôle et réjouissant sur le sexe, dans la continuité de l’ouvrage précédent des deux scénaristes. À la place, un récit fade aux airs de déjà vu, où même le dessin laisse à désirer.

Avec cette couverture pop aux couleurs explosives et ses références à peine voilées au sexe, Thomas Cadène et Joseph Safieddine signaient la promesse d’un album joyeux. En s’alliant cette fois avec l’illustrateur Thyss, les deux scénaristes qui adorent parler de gentils losers à la Houellebecq – le côté dépressif en moins – et de sexe, devaient s’inscrire directement dans la continuité de Fluide, un autre album paru aux éditions Arte, qui parlait également de cul et de relations amoureuses avec en figure de proue deux autres… gentils losers. Sans attendre de l’album qui révolutionne le monde de la bande dessinée, on pouvait donc parier sur un bon moment, quelques sourires et un peu d’empathie pour ces personnages de héros attachants même si stéréotypés.

À plein ennui

Dans cet album, qui comporte des airs de déjà-vu, évolue Pablo, un presque trentenaire un peu loser, maigrichon, puceau et en converses. Il a quitté le nid familial pour devenir gérant d’un magasin pornographique, mais les clients n’affluent pas. Entre les adolescents en crise qui viennent toucher les pénis en plastique et les vieux étranges qui n’achètent rien, l’autre ne s’en sort pas financièrement. Pire encore – selon l’échelon de valeur des auteurs – il ne parvient plus à se masturber. Nanti d’une faillite et d’une demi-molle, notre héros retourne chez ses parents, qui ont reconstitué pour lui sa chambre d’ado telle quelle.

Pour des raisons que seuls les auteurs peuvent expliquer, le fait de revoir ses posters d’ado et son vieil ordinateur redonnent à Pablo la force de se palucher. Fort de cette expérience, le trentenaire s’imagine que, comme lui, les gens mourraient de désir en retrouvant les lieux de leur jeunesse. Il décide donc de monter sa start-up, dans laquelle il vend un service de «  reconstitution  », c’est-à-dire qu’il recrée, dans un hangar en périphérie parisienne, le décor qu’on lui demande de recréer pour que, comme lui, les gens puissent aussi se masturber. Pablo, qui a troqué son look de loser pour des vêtements de jeune entrepreneur dynamique, reçoit ses premières commandes et semble trouver sa voie.

« Meilleur scénario original  »

On doit pouvoir s’amuser des bizarreries et singularités d’un auteur. D’autres fois, c’est trop absurde et ça ne prend pas. Et si on passe outre le fait que personne, nulle part, jamais, ne rêvera de retrouver les lieux de son enfance pour se masturber, on se souvient ensuite que l’histoire rappelle étrangement le scénario de La belle époque, le film césarisé «  meilleur scénario original  » de Nicolas Bedos. En moins bien. Et forcément, en moins original. Pari non tenu pour les auteurs.

Côté graphisme, on est déçu également. Les premières pages, à contrario des couleurs éclatantes de la couverture – qui devaient faire la patte des auteurs – affichent des couleurs ternes, un brin décevantes. Si la colorisation n’est pas exceptionnelle, le graphisme non plus. Le personnage principal, recréé par Thyss, comme la plupart des autres, semble tout droit sorti d’un épisode de Futurama. Pour l’originalité des planches, on repassera. L’histoire semble tout droit sortie d’un épisode de Matt Groening.

En fin de compte, Thomas Cadène, Joseph Safieddine et Pierre Thyss signent, avec À pleine main, un ouvrage décevant qui, globalement, ne vaut pas le détour. En espérant que le prochain sera à la hauteur de leur créativité qui nous a, par le passé, déjà réservé de jolies surprises.

À pleines mains de Thomas Cadène, Joseph Safieddine et Pierre Thyss, éditions Dargaud, 19,99 euros.

Journaliste

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