CINÉMA

« Memory Box » – One Way Or Another

Memory Box
© Haut et Court, Abbout Productions

Avec Memory Box, les artistes/cinéastes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige poursuivent dans la fiction leur exploration des images, ici par les souvenirs animés. En racontant une histoire émouvante, ils font revivre visuellement un Liban en guerre, celui des années 1980.

Du Canada aujourd’hui au Liban des années 1980, il y a des images, plus précisément des photographies, figées puis animées, des cassettes audio, des carnets annotés. Comme le titre l’indique, Memory Box, c’est la boite de souvenirs que reçoivent Maia et sa fille Alex le jour de Noël. Artistes explorant les images sous toutes leurs formes, le couple de cinéastes libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ont déjà réalisés plusieurs fictions : Autour de la maison rose (1999), A Perfect Day (2005) et Je veux voir, avec Catherine Deneuve (2008).

Ici, ils placent leur histoire au Canada. Bloquée par la neige, Alex communique avec ses ami.es via les réseaux sociaux. Ils se partagent leur quotidien en photos et vidéos. Enfermée avec sa mère et sa grand-mère, ces trois générations de femmes s’apprêtent à passer Noël quand un élément perturbateur, ce carton de souvenirs, en provenance du Liban, va venir bouleverser leur vie. Alex va découvrir tout un pan de la vie de sa mère qu’elle ne connaissait pas. Plusieurs années d’archives que sa mère envoyait à sa meilleure amie partie à Paris pour fuir la guerre civile. À l’époque, Maia adolescente racontait ce qu’elle vivait dans des cahiers, des lettres, sur des cassettes et captait les personnes qu’elle aimait sur pellicule, là où Alex les conserve dans son téléphone.

Le cinéma comme artisanat

Piquée dans sa curiosité, la jeune fille va se mettre à suivre les aventures passées de sa mère comme un feuilleton. Elle découvre une autre femme, une adolescente passionnée et libre à l’aube de sa première grande histoire d’amour. Les cinéastes animent les photographies, jouent avec les sons et les textures des images, inscrivant leur cinéma dans un artisanat ludique où ils peuvent passer d’une temporalité à une autre. Cette créativité visuelle permet de mieux appréhender la réalité, celle de la guerre civile au Liban qui menace les libertés et la jeunesse. En écrivant une histoire intime, c’est finalement l’histoire collective qu’ils abordent, celle qu’ils ont eux mêmes connue, en naviguant à travers ces différentes formes visuelles. L’ émotion personnelle des personnages guide le récit pour mieux témoigner du traumatisme vécue au Liban et expliquer à la fois l’exil et la transmission aux générations futures de ce passé douloureux.

Dans cette quête presque archéologique de la mémoire, les quatre actrices, Manal Issa, Paloma Vauthier, Rim Turki et Clémence Sabbagh resplendissent dans le labyrinthe des époques et la plastique significative des images. Memory Box, semble s’inscrire dans un cinéma formel créatif permettant de mettre en valeur le travail de mémoire de manière ludique pour le spectateur. L’année dernière sortait en salle le premier long-métrage de Chloé Mazlo, Sous le ciel d’Alice, qui évoquait également la guerre civile libanaise dans un prisme artisanal inventif alternant entre stop-motion et prises de vue réelles. La distanciation dans la création apparait ici aussi comme seule manière d’aborder frontalement des événements récents et terribles. Tant qu’on peut encore danser sur « One Way Or Another » de Blondie comme des adolescents, la beauté persistera.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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