ART

« From the Other Side » – Exposition Chantal Akerman

© Chantal Akerman Foundation

«  From the Other Side » est une exposition de l’artiste et réalisatrice Chantal Akerman à la galerie Marian Goodman à Paris. Ses installations-vidéo tracent un parcours d’images de l’intime au politique. L’exposition est visible jusqu’au 5 février 2022.

L’exposition « From the other side » présente deux installations réalisées à partir de deux des films de Chantal Akerman (avec la collaboration de Claire Atherton) : « Je tu il elle, l’installation » » et « From the Other Side ». Le concept de « the other side » vient pour l’artiste belge de la philosophie de Levinas[1] pour qui le visage nu de l’autre qui s’annonce devant nous, nous rend responsable à son égard.

L’autre est aussi, pour Chantal Akerman, le visage de celui ou celle qui regarde et fait face au film. L’installation est alors le lieu idéal pour penser, à nouveau frais, cette frontalité de l’image. Elle est un dispositif kaléidoscopique. Elle propose de diffracter l’image, habituellement une au cinéma, pour ouvrir le champ à une autre spatialité et une autre durée. 

Chantal Akerman écrit, réalise des films (court-métrage, comédie musicale, drame, documentaire) et produit des installations d’art. Elle travaille la question de l’autoportrait et de l’intime, de sa vie et de celle de sa famille. La déportation de sa mère hante toute son œuvre, point de départ pour se tourner vers le monde, ses conflits et ses irrésolutions.  

Je, tu, il, elle

Vue de l’exposition “From the Other Side” de Chantal Akerman, Je tu il elle (2007), three channel video installation / Courtesy of Chantal Akerman Foundation and Marian Goodman Gallery © Rebecca Fanuele                                                                       

Je, tu, il, elle (1974) est filmé en noir et blanc et tourné en une semaine. En 2007, Chantal Akerman le découpe en trois parties pour Je tu il elle, l’installation. Les trois séquences sont projetées simultanément alors qu’elles se suivaient chronologiquement dans le film. Les quatre pronoms personnels du titre sont une déclinaison enfantine d’une conjugaison à apprendre par cœur. Et, ils sont aussi la ligne directrice du film. Le je est le personnage principal incarné par Chantal Akerman. 

Le premier volet la montre enfermée dans une petite chambre pendant vingt-huit jours. En voix off, elle décrit factuellement ce qu’elle fait. Le premier jour, elle peint les meubles en bleu et le deuxième en vert. Le troisième elle met les meubles dans le couloir et le quatrième se couche sur le matelas. Elle mange du sucre à la petite cuillère. Ecrit des lettres d’amour (le tu à qui elle s’adresse) sur lesquelles elle s’allonge. Elle ne fait rien, vit dans un temps rythmé par les seuls petits rituels quotidiens : respirer, écrire, manger, attendre.

Jérôme Momcilovic dans Chantal Akerman, Dieu se reposa, mais pas nous (2018) évoque ce préambule comme le récit de la genèse d’une cinéaste qui construit son plan devant les yeux de celui ou celle qui la regarde. La chambre, comme l’installation, apparaît comme un «  dispositif optique  ». Elle est le lieu où se crée le décor, où se pense le plan et où le «  le personnage se révèle doucement, comme une image dans un bain chimique  ».

Plus tard, elle sort, part faire du stop et monte dans le véhicule d’un camionneur (lui). Ils s’arrêtent alors dans des restaurants routiers, mangent, roulent encore. Il lui demande qu’elle le branle et il jouit. Il lui raconte sa vie (la rencontre avec sa femme, sa relation avec son frère). 

Voilà, elle arrive enfin chez la fille qu’elle aime (elle). Elles font des tartines avant de faire l’amour. Elles s’embrassent, se caressent, dans un plan fixe frontal, nues dans des draps blancs, leurs corps enlacés. Cette scène exceptionnelle rappelle l’enlacement du «  je  » et du «  tu  » de Monique Wittig dans Le Corps lesbien (1973)  : «  Tes mains s’accrochent à m/es cheveux, tu t’élèves à présent, tu m//entraînes (…) Il n’est pas possible alors d’arrêter le mouvement si lent soit-il. Une force irrépressible se dégage de toi et m//emporte. J/e ferme les yeux. J/e m/e laisse aller.  » 

From the other side

Vue de l’exposition “From the Other Side” de Chantal Akerman, From the Other Side (2002), Courtesy of Chantal Akerman Foundation and Marian Goodman Gallery © Rebecca Fanuele

From the Other Side (2002) est une installation réalisée à l’occasion de la Documenta XI de Kassel à partir du film De l’autre côté. Le film documente l’exil des Mexicains qui tentent de traverser la frontière pour arriver sur le sol américain. Il témoigne de la condition de ceux qui cherchent à rejoindre une vie meilleure en passant de l’autre côté et de ceux, en miroir, qui les traquent pour interdire leur passage.  

L’installation dissémine le film en trois espaces. La première salle montre, dans une boucle, la dernière séquence du film De l’autre côté où Chantal Akerman décrit, en voix off, la perte de vue d’une Mexicaine qu’elle côtoyait alors qu’elle roule sur l’autoroute américaine en pleine nuit. Dans la deuxième salle, dix-huit téléviseurs donnent à voir le film en fractionné. C’est une invitation à déambuler pour se saisir des images. Enfin, la dernière salle propose la projection du dernier plan du film De l’autre côté, montré sur un écran blanc installé dans la zone frontalière entre deux montagnes (une mexicaine l’autre américaine). C’est une mise en abyme puisque le lieu filmé devient le lieu de la projection. Comme si le lieu pouvait devenir le spectateur de ce dont il est la scène. 

Le montage alterne entre des interviews filmées et des images de paysages. Chantal Akerman filme ceux qui essaieront la traversée au péril de leur vie et l’infinie tristesse des familles de disparus. Elle filme aussi le no man’s land, les étendues désertiques, les enfants qui continuent de jouer au foot malgré tout et les maisons de fortunes.

Derrière la frontière, elle montre les patrouilles aériennes des troupes américaines, les agents de la border patrol qui quadrillent le périmètre sans fin et les images d’archives, filmées à la caméra infrarouge, fournies par le service d’immigration américain. Paroles et images se répondent en ricochet et donnent à voir une incompréhension meurtrière.

Le film se clôt sur ces mots de Chantal Akerman  : «  une hallucination  » comme s’il était impossible de réaliser tout à fait, même en réalisant elle-même ce film, que tout cela n’en était pas une.

Cette exposition a été conçue en collaboration avec la Fondation Chantal Akerman et la CINEMATEK – Cinémathèque Royale de Belgique.

«  From the other side  » exposition de Chantal Akerman, Galerie Marian Goodman, 79 Rue du Temple, 75003 Paris. Jusqu’au 5 février 2022. Contact au 01 48 04 70 52 ou paris@mariangoodman.com. Horaires  : Ouvert du mardi au samedi de 11h à 19h. 

[1] “No Idolatry and Losing Everything that Made You a Slave : Chantal Akerman”, interview par Élisabeth Lebovici

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