« La Cerisaie », pièce de Tchekhov mise en scène par Tiago Rodrigues, avait déjà fait l’ouverture du festival d’Avignon et reprend aujourd’hui du service au théâtre de l’Odéon. La mise en scène, enthousiasmante, met en valeur le formidable jeu des acteurs, Isabelle Huppert en tête.
Les spectateurs ne sont pas encore assis sur leurs sièges qu’ils sont accueillis par un Lopakhine (Adama Diop) diplomate et impatient de présenter cette création de Tchekhov, écrite en 1904 alors que le russe se savait condamné par la tuberculose.
Sur scène, le décor en est réduit au strict minimum. De grands lustres en cristal pour laisser l’imagination se figurer le faste de cette famille russe, emmenée par Lioubov (Isabelle Huppert) qui court inexorablement à sa perte mais ne le sait pas encore. Une forêt de chaises alignées avec une régularité quasi mathématique. Si les comédiens regardent les spectateurs au cours de la pièce en s’extasiant de la beauté de La Cerisaie, le public se la représente aussi.
Des personnages qui racontent l’histoire de personnages
Pour mettre en scène cette pièce très jouée de Tchekhov – elle est d’ailleurs jouée en ce moment de l’autre côté de la Seine, à la Comédie-Française – Tiago Rodrigues fait le choix audacieux de rompre avec les conventions réalistes qui collent souvent aux textes du dramaturges. Cela passe par les décors mais aussi par les costumes, modernes et colorés, qui donnent de la profondeur aux interprétations des comédiens.
Rodrigues, en plus de s’affranchir des codes du réalisme, s’affranchit également de ceux du théâtre. En ouverture, c’est Lopakhine – ou son interprète – qui introduit la pièce au public. Le casting, choral, est accompagné au départ par quelques notes de chant. Nous savons désormais que nous avons affaire à une histoire de famille comme seuls les russes savent en faire. Lioubov, l’héritière ruinée et légère de La Cerisaie et du domaine attenant poursuit ses caprices de femme gâtée par la vie. En fond, une chanteuse accompagnée de son musicien – à la guitare électrique, pour achever le mélange des genres.
Dans ce texte de Tchekhov qui raconte les douleurs et espérances d’un monde en pleine mutation par le biais d’une famille sur le point d’être expulsée de chez elle, la langue et l’humour prime. Cette langue est captée par les comédiens qui savent restituer la noirceur et la mélancolie pour mieux livrer une interprétation magistrale de la pièce, Adama Diop en tête.