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« Tartuffe Théorème » – Avec Macha Makeïeff, Molière prends le pouls de l’époque

Tartuffe Théorème
Photographie de Pascal Gely / Hans Lucas

Présentée aux Bouffes du Nord jusqu’au 19 décembre, Tartuffe Théorème de Macha Makeïeff revisite le classique de Molière  : un texte repris au mot près et une mise en scène audacieuse et résolument pop.

Si le nom de la pièce n’était pas inscrit sur nos billets, on ne se douterait pas que l’on va voir une pièce de Molière. Complètement redécoré pour l’occasion, le théâtre des Bouffes du Nord a fait peau neuve pour accueillir la dernière création de Macha Makeïeff. Les murs nus et froids caractéristique du lieu se sont changés en un grand salon bourgeois aux couleurs éclatantes. Du rose, du bleu, du vert, du mobilier de salon et de grands canapés en velours  ; les décors pop à la limite du kitsch rappellent un clip de musique. Bref, on ne se croirait pas chez Molière.

Et pourtant, quelques minutes plus tard, débarquent sur scène une pelletée de personnes aux physiques tout aussi outranciers – robes fuschia, vertes et jaunes, brushings des années 60 et tailleurs façon première dame. Une vieille dame surgit, on reconnaît la grand-mère du texte de Molière. Ses dialogues – les vers du maître, intacts – se mélangent avec ses chants, lyriques, qui font rire dans la salle.

Hommage habile

L’histoire, on la connaît. Tartuffe, faux-dévot de service, s’installe dans une famille bourgeoise. Il fait avaler des couleuvres au père, complètement acquis à sa cause. À la grand-mère aussi, qui entre chaque réplique échangée avec son fils répétera inlassablement  : «  D’accord, mais Tartuffe  ?  ». Pour rendre hommage à son gourou, le père compte bien lui offrir monts et merveilles. Les biens de la famille d’abord – cette grande maison dans laquelle ils vivent pourtant tous . Aussi, et surtout sa fille, qu’il lui promet en mariage pourtant énamourée d’un autre garçon depuis des années. Pendant ce temps, le Tartuffe trompe joyeusement son monde  ; joue aux religieux pendant qu’il courtise la mère.

Tartuffe, dans la pièce, cheveux longs, teint pâle, tout de noir vêtu (presque plus Dracula que Tartuffe) . Il jure avec le décor, les personnages, tous colorés et bariolés. Il est le seul dont les répliques sont toujours très sérieuses tandis que les autres personnages entonnent les vers de Molière avec entrain et dérision. Tout cela en chantant ou marmonnant. Macha Mekeïeff met le texte à distance. Le seul d’entre eux qui ne joue pas ce jeu-là est le plus hypocrite d’entre eux, c’est Tartuffe. C’est le menteur.

De cette pièce à la langue vieillote, la metteuse en scène parvient à faire un objet contemporain aux messages tout aussi contemporain. Mekeïeff relit Tartuffe comme un conte. Il en dit long sur nos névroses contemporaines et les angoisses qui nous agitent au quotidien. Le Tartuffe Théorème fait émerger autant d’interrogations de notre temps  : celles sur le consentement – la fille mariée de force, cette liaison un peu lugubre entre le Tartuffe et la mère – entre autres abus de faiblesse et hypocrisie sociale. Au 21e siècle, le Tartuffe reste roi.

Tartuffe Théorème, mis en scène par Macha Mekeïeff est à retrouver au théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 19 décembre.

Journaliste

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