CINÉMA

« Matrix Resurrections » – Face aux simulacres

Matrix Resurrections © Warner Bros
Matrix Resurrections © Warner Bros

Plus fort qu’une suite et par-dessus toute logique de sa propre saga, Matrix Resurrections étonne par le dévouement de Lana Wachowski pour la défense de la fiction. Un discours plus contestataire qu’audacieux et désincarné par une mise en scène paresseuse.

Il n’y a bien que la saga Matrix elle-même et ce qu’elle génère comme images pour s’approprier des idées venues d’une fiction portant son nom. Que ce soit Thomas Anderson, fraîchement reproduit en concepteur d’une trilogie de jeux vidéo dénommée… Matrix. Ou bien Lana Wachowski, dont l’envie de métamorphoses et de répétitions d’images passées doit prouver qu’elle est aussi en totale harmonie avec la fiction. Néo/Thomas Anderson se déplace dans l’échiquier de la Matrice et c’est bien la cinéaste qui pousse le pion. Le but de la partie : retrouver l’amour du personnage (Trinity) en même temps que celui des idées (la fiction). Plus qu’une résurrection, il s’agit ici de retrouvailles.

Dans la saga, la tentation de ne faire qu’un tenait par l’importance de la prophétie de l’Élu dans la croyance des personnages – « The One ». Pensant que Matrix a été décomposé par ce qui est explicitement nommé comme des appropriations culturelles, Lana Wachowski se donne la mission de redorer un blason qu’elle pense fondu et sous la menace d’une major capable de dévitaliser son récit. Les menaces pèsent sur les fictions et leur aura : il faut donc sauver Matrix. Une conviction, donc. Un engagement qui nous rappelle le jusqu’au-boutisme des meilleures scènes d’action de la saga. Un romantisme quasi enfantin à la lumière des grands effets des grandes batailles. Se retrouver, et se préserver.

Retrouvailles entre Néo et Trinity / Matrix Resurrections © Warner Bros

Amour vache

Désir et dévouement bien présents mais dont l’improbable manque d’incarnation dans la mise en scène fait passer Resurrections comme un film prévoyant plutôt que romantique, ennuyeux plutôt que léger. La naissance de ce quatrième volet de la saga trouvant écho dans l’arrivée d’une suite à la trilogie de jeux vidéo de Thomas Anderson, la Matrice penche soudain vers la simulation d’une réalité : la nôtre.

S’ensuit une scène assez périlleuse d’un brainstorming prenant les habits d’une manifestation bon marché contre Hollywood et ses inspirations toutes faites. Resurrections devient un parloir. Dans ce joyeux bordel, Thomas Anderson a pourtant des flashs de son propre jeu qui apparaissent comme une réalité qu’il aurait vécue. Où est passé Matrix, il faut sauver Matrix !

Que la Matrice s’ouvre soudain à un horizon réel, soit. Mais cette défense de la fiction ne vaut pas une telle altérité sur un personnage dont les repères sont encore à déterminer dans le scénario. Thomas Anderson/Néo n’a pas de flashs de sa vie passée parce que la réalité des blockbusters et des majors est devenue incontrôlable dans sa bêtise. Mais parce que la fiction, comme lui, s’est endormie. Lana Wachoswki donne l’impression de crier à l’oreille d’un sourd. Soudain, le film s’emporte littéralement dans une succession de teintes et de cadres complètement brisées. Simulation de dialogues bien connus, dilatation de l’espace et mise en exergue des ressemblances… Une énumération plus qu’une incarnation.

Action et précipitation / Matrix Resurrections © Warner Bros

Boulette time  ?

Ce qui est complètement assumé perd en puissance et incarnation dès lors que le scénario du film prend forme. Tiraillée par ce qu’elle veut raconter – se dévouer pour la fiction où jouer de son hibernation –, Lana Wachowski grossit son histoire à grands renforts d’inventions qui ne dépassent pas le stade de leurs évocations et des ficelles dont il serait hypocrite d’affirmer qu’elles ne sont pas issues d’un fan service. L’amour et le dévouement sont bien réels, par passion pour la grande remise en question de la fiction opérée par le film. Mais ce n’est franchement pas lui rendre service que de semer un discours avec d’aussi pauvres intentions de mise en scène.

Qu’il soit à la mesure du réveil désiré par Lana Wachowski ou de l’hibernation de Néo puis Trinity, Matrix Resurrections semble parfois trouver de bons compromis. L’excellente utilisation du fameux effet « Bullet Time » qui a rendu célèbre le film de 1999 en est un exemple intéressant. Cette fois-ci présente dans une scène entière plutôt qu’un plan – et toujours dans l’idée du ralenti – le film trouve ici un ressort selon lequel la fiction reste dans un état de métamorphose. Complétée par ce personnage d’Analyste là encore pauvre en profondeur mais flottant à la surface, Matrix Resurrections pose une question de mise en scène. Comment les effets peuvent-ils être réutilisés et dans quel but ?

De la chair fraîche / Matrix Resurrections © Warner Bros

Matrix Resurrections, faire concorde

C’était aussi tout le propos de Reloaded et Revolutions, redéfinissant constamment le rôle de l’Élu ainsi que le but comme la conception de la Matrice. Héritage et extension de la redéfinition vite gommés, évidemment, par une aspérité louable mais précipitée dans la conclusion. En témoigne cet emprunt désintéressé au genre du film de zombies et l’étonnante vacuité des matières de la science-fiction : la nouvelle ville baptisée IO, d’une superficialité et distance aussi gênantes que les matières de Dune… Et sans parler du dialogue final, accident de style aussi confondant que les intentions que prétend honorer l’écriture du scénario.

Peut-être que Matrix Resurrections se sauve dans un dernier mouvement de montage, où les actions de la Matrice et de la réalité sont superposées, loin de la séparation des deux derniers segments de Revolutions. Force du collectif qui permet aussi aux nouveaux personnages de dégager une présence bienvenue et rafraichissante. Signe que l’imaginaire va aussi au-delà d’un simple cri du cœur : il suffirait de croire en son histoire plutôt qu’à sa résurrection.

A lire aussi, notre RÉTRO MATRIX : Matrix | Matrix Reloaded | Matrix Revolutions

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