Deux ans après son immense film introspectif, Douleur et Gloire, et une escapade par un court-métrage adapté librement de l’oeuvre qui le hantait, La Voix humaine de Cocteau, Pedro Almodovar retrouve sa muse Penelope Cruz. Madres Paralelas, nouvel hommage aux actrices, aux femmes, aux mères, est un mélodrame somptueux par sa sobriété et sa maitrise.
Pedro Almodovar aime les détails alambiqués, bien dissimulés, qui constituent ses scénarios et sa filmographie. Dans le bureau du protagoniste réalisateur d’ Étreintes brisées, on pouvait apercevoir l’affiche d’un film portant le nom de Madres Paralelas. Dans la dernière scène de Douleur et Gloire, son précédent long-métrage, l’avatar de Pedro Almodovar filmait Penelope Cruz actrice incarnant la mère jeune du personnage. Mise en abime et pied de nez créatif, le cinéaste madrilène annonçait des retrouvailles avec la comédienne comme figure central de son nouveau film, dans un autre rôle de mère.
Dans Madres Paralelas, Penelope Cruz incarne Janis, une photographe indépendante. Tandis qu’elle fait le portrait d’un anthropologue pour une commande, Arturo Buendía (Israel Elejalde), elle l’entraine dans son passé familial. Janis espère pouvoir faire enterrer les hommes de son village – dont son arrière grand-père – laissés sans sépulture dans une fosse commune lors de la guerre d’Espagne. Malgré elle, en faisant d’Arturo son amant, elle l’emmène également dans son futur familial, en tombant enceinte par accident. Si lui, marié, n’est pas prêt à assumer cet enfant, elle, sera mère.
Se réparer
Les vies parallèles sont parfois destinées à se croiser. À la maternité, Janis, mère tardive fait la rencontre d’une jeune mère précoce, célibataire elle aussi, Ana (Milena Smit). Les deux femmes vont se retrouver liées l’une à l’autre au fil du scénario du cinéaste. Dans ce qui est surement l’un des plus grandes rôles de Penelope Cruz, l’actrice saisit les dilemmes et secrets qui viennent s’imbriquer les uns aux autres et toute la complexité de Janis. Pedro Almodovar poursuit le travail entamé avec Douleur et Gloire : une mise en scène tendue, précise et sobre. Mais le mélodrame lorgne parfois vers le thriller hitchcockien – dont les notes d’ Alberto Iglesias épousent l’histoire -, traversant simplement les genres pour mieux laisser les émotions surgir. Tout en poursuivant ce qu’il a fait de mieux dans sa filmographie, les portraits de femmes (auxquelles s’ajoutent dans Madres Parallelas les fascinantes Aitana Sanchez-Gijon, Rossy de Palam et Julieta Serrano) affrontant leurs désirs et blessures, il dessine ici des personnages libres, modernes, ancrées dans le présent, rendues toujours sublimes par sa caméra.
Pourtant, après avoir sondé son passé, et sa gloire, c’est celui de l’Espagne qu’il fouille non sans douleur, reliant l’intime au collectif. Par l’individualité, par les femmes, par la filiation et la sororité, par la confrontation de deux générations, le réalisateur répare l’Histoire de son pays abordant frontalement (enfin) le Franquisme et ses traumatismes dans sa dernière partie, jusqu’au plan final tourné vers le futur, nous arrachant les larmes dans la beauté et le bouleversement.