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« Ambient Music » – Une autre histoire de la musique

Ambiant music
© Le mot et le reste

Dans son dernier ouvrage paru chez Le Mot et Le Reste, le journaliste Jean-Yves Leloup aborde la musique ambient sous toutes ses coutures, laissant entrevoir une implication inattendue de celle-ci dans la vie quotidienne et dans les musiques populaires actuelles.

Comme il est de coutume chez Le Mot et Le Reste, la couverture figure quatre pochettes d’albums dont une seule peut être identifiée par le grand public : celle de la bande-originale de la série Chernobyl (Craig Mazin, 2019). Celles de Zeit (Tangerine Dream), Ambient 4 : On Land (Brian Eno) et Selected Ambient Works II (Aphex Twin) l’accompagnent.

L’ouvrage est sous-titré « Avant-gardes, new age, chill-out & cinéma ». Jean-Yves Leloup s’attaque donc à un style qui n’en est pas vraiment un, qui ne peut se décrire simplement par ses sonorités ou les instruments qu’il utilise. En conclusion de l’ouvrage, l’auteur s’y résout : « On pourrait être tenté de définir l’ambient à travers ses formes et ses structures (…) l’ambient désigne une musique instrumentale, souvent électronique, aux notes tenues et aux mélodies clairsemées, à la beauté naïve et revendiquée. » Pour mieux le saisir, l’ambient devrait plutôt être défini selon les «  rapports qu’induisent [les morceaux] à la perception du temps et de l’espace, à l’imaginaire qu’il déploie ».

Eno et l’ambient

Comme son nom l’indique, la musique ambient a à voir avec l’ambiance ; plus précisément avec l’environnement qui nous entoure. À la fois l’environnement entendu comme ce qui nous entoure, mais également comme ce qui désigne, par extension, la nature, les êtres vivants, les éléments marins ou telluriques. On comprend que l’émergence de l’ambient en tant que style défini, revendiqué, est le fait d’un homme : Brian Eno. Très vite échappé de Roxy Music, groupe anglais des années 1970, le musicien va alors créer la musique dont il a besoin. Pendant une dizaine d’années, il cherche à sortir des conventions de la musique populaire, d’un « modèle temporel » pour théoriser, parfois philosophiquement, un « modèle spatial  ».

Jean-Yves Leloup nous décrit alors comment une immobilisation à l’hôpital le conduit à considérer l’harmonie entre la musique faiblement émise par le poste radio et le bruit de la pluie. Sans se compromettre artistiquement, la musique peut, pour Brian Eno, être « destinée à des situations et des moments particuliers, adaptée à une grande variété d’humeurs et d’atmosphère ».

La musique rompt alors avec son but divertissant, de régularisation de l’environnement pour glisser vers des productions visant à ne pas nier le doute et l’incertitude, à faciliter la pensée tout en étant facile à ignorer. Le nom de ses premières œuvres purement ambient suffisent à transmettre la volonté artistique de Brian Eno : en 1975 sort Discreet Music, qui comprend quatre pistes dont la première dure plus de trente-et-une minutes ; en 1978, Ambient 1 : Music for Airports.

L’ambient est (presque) partout

Si la place inévitable de Brian Eno dans la détermination et la diffusion de l’ambient est justement relatée, Jean-Yves Leloup s’attache pourtant à démontrer que la musique ornementale ou environnementale ne date pas du siècle dernier. Dans différentes cultures autour du monde, au fil des siècles, la musique a eu le dessein de provoquer ces sensations de suspension, d’éternité. Très vite, on retrouve des styles familiers : les chants polyphoniques et grégoriens, le râge indien et le gamelan javanais, le bourdon. Puis au fil des siècles évidemment, le classique avec, au XIXe siècle, Claude Debussy et Erik Satie.

Jean-Yves retrace l’évolution de la musique ambient au fil des décennies, en se focalisant parfois sur des artistes marquants et leurs travaux ; par exemple ceux de LaMonte Young ou de la française Eliane Radigue. Surtout, dans ce livre, Jean-Yves Leloup démontre que s’il n’est pas un style populaire — au sens commercial — l’ambient a nourri et influencé, de près ou de loin, la création de tous les styles de la musique moderne, plus populaire et familière.

De Sonic Youth à Billie Eilish, de Pink Floyd à PNL en passant par la vaporwave et le cinéma de David Lynch, Nicolas Winding Refn et Andreï Tarkovsky, l’ambient irrigue la musique populaire et actuelle, dans un échange mutuel, sans jamais cesser de se réinventer elle-même.

Dans un ouvrage riche et précis, rarement obscur, Jean-Yves Leloup donne les clés de compréhension stylistique, patronymique et chronologique de l’ambient. On peut regretter les trop brèves références aux artistes gravitant autour du label Warp, cristallisant la scène ambient des années 1990. Si son deuxième album est mis à l’honneur en couverture et en fin de livre, Aphex Twin n’est abordé que trop brièvement, tout comme Autechre. Le duo écossais Boards of Canada n’est mentionné qu’une seule fois, ce qui est dommageable pour un groupe aussi important dans l’histoire de l’ambient.

Malgré cela, cette immersion quasi-exhaustive proposée par Jean-Yves Leloup dans la musique ambient est satisfaisante et peut constituer un bon guide. D’autant que la seconde partie de l’ouvrage est consacrée à une description album par album des grandes œuvres de l’ambient. De quoi abandonner les playlists « Chill » et « Relax » algorithmées.

Ambient Music, Avant-gardes, New Age, Chill-Out et cinéma de Jean-Yves Leloup, aux éditions du Mot et le reste. 25 euros.

RENNES-SUD

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