Pour célébrer le centenaire de la pièce de Luigi Pirandello, le théâtre de la Ville reprogramme Six personnages en quête d’auteur, déjà jouée vingt ans plus tôt avec la même troupe. Une mise en scène qui oublie parfois jusqu’à la moitié de ses acteurs.
Dans la salle de Cardin, qui fait désormais office de Théâtre de la Ville à la place du véritable théâtre, encore en travaux, l’heure est à la mise en abyme. Les comédiens qui arrivent en se rouspétant les uns sur les autres sont en fait des acteurs venus eux-mêmes répéter dans un théâtre cette pièce de Luigi Pirandello qu’ils s’apprêtent à montrer. Au milieu de cette joyeuse bande, le Directeur, venu diriger les comédiens, les conseillers. On se croirait en répétition. La séquence dure un bon quart d’heures, peut-être plus, avant d’être perturbée par une demi-douzaine de personnes que l’on croirait tout droit venues d’outre-tombe.
Les troubles fêtes, ce sont les personnages. Leurs visages sont maculés de blanc et leurs corps habillés de noir. L’accoutrement leur confère un air inquiétant – va-t-on assister à une attaque de zombie ? – démenti par les mots du chef de bande. Ils sont les personnages, les vrais, ceux que les acteurs sont en train d’essayer d’interpréter. D’ailleurs, ils jouent drôlement mal, ces personnages. Et cette mise en scène est bien médiocre par rapport à celle des personnages qui, eux, ont tout vécu, pour de vrai.
D’ailleurs, ils pourraient le revivre, ils se cherchent un auteur et un théâtre pour revivre en direct tous ces malheurs qui jalonnent la vie d’un personnage. Et renouer avec ce qui fait l’intérêt de leur existence : avoir un public.
Questionner le pouvoir de l’interprétation
Les dialogues de Pirandello sont astucieux et remettent en question la pertinence de l’interprétation des acteurs. La mise en scène, elle, est parfois maladroite. Tandis que les scènes de dialogues entre les comédiens et les personnages s’enchaînent, elles sont suivies par des scènes où chacun fait montre de ses qualités respectives d’interprétation. On a l’impression d’assister à une battle de laquelle l’histoire et le fond du propos sont momentanément écartés. Le directeur vient s’asseoir sur le devant de la scène, tourne le dos au public, pour regarder les répétitions.
Les revendications des personnages sont incarnées par leur chef de file et la belle-fille (Valérie Dashwood), qui sont seuls à prendre la lumière. Sur les six personnages en quête d’auteurs, ils sont les seuls à avoir la parole. Côté comédiens – les acteurs de la pièce, donc, pas la troupe de comédiens dans la vraie vie -, la répartition des rôles est assez inégalitaire. Certains d’entre eux sont parfois présents sur scène pour un temps de dialogue quasi-nul.
Heureusement, cette inégalité trouve grâce à nos yeux, notamment grâce à la performance de Valérie Dashwood. Elle parvient à entraîner derrière elle la tripotée de comédiens présents sur scène et plus largement, la pièce toute entière. Le tout pour une seconde partie bien meilleure que la première et un final racinien qui nous convainc des qualités de la pièce.