SOCIÉTÉ

Médias : l’investigation locale en quête d’indépendance

Logo de Mediacités © Mediacités
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Depuis plusieurs années, un certain nombre de médias locaux ont fait de l’investigation leur fer de lance. Des enquêtes réalisables au prix d’une indépendance qui ne tient souvent qu’à un fil.

« La liberté de la presse est une frêle bougie qui éclaire les choix citoyens. Aidez-nous à souffler notre cinquième ». Le 21 septembre, au terme d’une publication de quelques lignes partagée sur les réseaux par l’intermédiaire de son co-fondateur, Jacques Trentesaux, la nouvelle est tombée : Mediacités, média local indépendant, est en difficulté économique. Allumée depuis décembre 2016 à Lille, puis à Lyon, Toulouse et Nantes, la flamme du média qui prône « l’investigation sans concession » vacille.

Peut-on vivre du journalisme indépendant ?

Mediacités est confrontée à une situation qui, comme tant d’autres médias, illustre les difficultés que connaît la presse pour financer une information indépendante de qualité. « Le fond du problème c’est de savoir si on peut vivre du journalisme sans s’appuyer sur le modèle publicitaire », estime Jacques Trentesaux. 

Le journaliste a quitté l’Express, en 2016, pour co-fonder son média. Il explique le choix de l’investigation : « L’enquête est un exercice du métier qui peut générer suffisamment d’abonnements, explique-t-il. Le lecteur est satisfait quand il apprend quelque chose. Notre pari est que le public comprenne qu’il a intérêt à investir une somme minime pour pouvoir en bénéficier. »

MEDIACITÉS est un journal en ligne d’investigation et de décryptage. Il enquêtera sur les pouvoirs politiques, économiques, sociaux, culturels, sportifs. Il éclairera les enjeux et les expliquera de façon pédagogique.

Manifeste de la rédaction

Mais après bientôt six ans d’existence, ce constat chancèle. « Nous n’avons pas un nombre d’abonnés suffisant. Mais quand on regarde la situation des autres médias, ils souffrent aussi », constate Jacques Trentesaux. Il manque 2000 abonnés au site d’investigation pour pouvoir perdurer sereinement en 2023. Fin septembre, Mediacités a donc tiré la sonnette d’alarme. « Un certain nombre de gens est intéressé mais n’a pas conscience qu’il faut s’abonner pour faire perdurer le média. On veut réveiller ces gens-là », explique le co-fondateur.

Le 9 novembre, Jacques Trentesaux était dans l’Instant M sur France Inter pour défendre le journalisme porté par son média. « Derrière l’investigation il y a des efforts, de la sueur, du temps et forcément de l’argent », a-t-il expliqué. « Il faut en moyenne 15 abonnés pour rentabiliser une enquête. Le message qu’on veut faire passer est que le bon journalisme à un coût. », a-t-il insisté auprès des auditeurs.

Pallier le manque d’enquêtes locales

« Nous sommes nés du constat que la presse quotidienne régionale ne faisait pas le travail nécessaire. Il n’y avait pas assez d’articles longs et approfondis », explique Gaël Cerez, rédacteur en chef de MediacitésToulouse. Une absence d’enquête, notamment sur les pouvoirs publics, que le journaliste explique par la dépendance de la presse à la publicité ou de ses relations avec les élus locaux. Il y avait donc, pour ces nouveaux médias, « un intervalle dans lequel se glisser », une place à prendre pour « publier des enquêtes exclusives qu’on ne lit pas dans d’autres médias ».  

Nous croyons à un journalisme utile qui aide les lecteurs à participer activement et librement à la vie de leur cité.

Sans cette investigation locale indépendante : « Les élus seraient encore plus tranquilles pour ne pas tenir leurs promesses. Nos articles les poussent en quelque sorte », justifie le rédacteur en chef de Mediacités Toulouse. A titre d’exemple, leur rubrique «  Radar » surveille en temps réel l’avancement des promesses de campagnes des élus : sont-elles tenues, en cours de réalisation ou oubliées ?

On croit beaucoup à l’impact de nos articles sur les villes. Si on arrive à perdurer, ce ne peut qu’être bénéfique.

Gaël Cerez, rédacteur en chef MediacitésToulouse

« On révèle aussi beaucoup d’affaires de conflits d’intérêts ou des histoires de harcèlement  », poursuit Gaël Cerez. « Pour qu’une démocratie fonctionne bien, il faut des citoyens qui comprennent les enjeux  », affirme de son côté Jacques Trentesaux : « Notre rôle est d’être au service du public ».

Devenir « un Mediapart local »

Comme pour Mediacités, l’indépendance que chérit Rue89 Strasbourg a un coût. Également présent à Bordeaux et Lyon, Rue89 est un média indépendant qui est lui aussi obligé de composer avec un équilibre financier « précaire ». Contrairement à Mediacités, le leur repose encore en partie sur la publicité : « 40 % de publicité, 40 % d’abonnements et le reste en subventions ponctuelles », détaille Guillaume Krempp, journaliste à Rue89 Strasbourg.

« On aimerait se passer de pub et avoir un lien de dépendance en moins  », concède-t-il, « On est toujours à la recherche du modèle économique parfait  ». Mais c’est aussi grâce à la publicité que le média peut se permettre d’être plus ambitieux. « L’idéal est le modèle sans pub. Mais il y a une réalité : je préfère avoir un peu de pub mais avoir un journaliste de plus et les moyens de faire plus d’enquêtes  », affirme Guillaume Krempp. « Mediacités montre qu’on peut se passer de publicités mais aujourd’hui ils doivent lancer une nouvelle campagne de financement, cela prouve que c’est compliqué  », concède-t-il.

Au bout du fil, le journaliste strasbourgeois insiste sur l’importance de l’indépendance de son média, possédé par ses journalistes. Elle seule peut offrir une forme de transparence au citoyen. C’est cette indépendance qui permet au journaliste de regarder de manière critique les institutions et les pouvoirs publics et, ainsi, de tisser une relation de confiance avec le lecteur. « C’est une forme de sérieux et de crédibilité auprès de nos lecteurs, sur lesquels on compte pour être nos informateurs. Pour nous alerter », précise-t-il. 

L’indépendance est donc encore fragile pour ces médias qui rêvent de devenir « un Médiapart local », basé uniquement sur l’abonnement. « Je crois que c’est un objectif qu’on va atteindre », confie Guillaume Krempp. Un idéal qui passe, selon lui, par la succession des révélations et l’utilité publique de son média : « En tant que journal local, tout le modèle économique est basé sur la confiance qui s’établit avec un territoire et ses habitants  ».

« L’investigation c’est le fait de prendre le temps long pour creuser un sujet jusqu’au bout. Il y a des infos auxquelles personne n’accèderait jamais s’il n’y avait pas des journalistes pour enquêter », ajoute-t-il avant de conclure : « L’investigation est nécessaire au citoyen. »

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