CINÉMALITTÉRATURE

« Maurice Pialat – la main, les yeux » – Une mélancolie souterraine

Van Gogh © Capricci Films
Van Gogh © Capricci Films

Après un livre consacré à Arnold Schwarzenegger et un autre à Chantal Akerman, le critique de cinéma Jérôme Momcilovic propose une réflexion sur la filmographie de Maurice Pialat, toujours aux éditions Capricci. Un exercice d’écriture stimulant.

On ouvre le livre avec une drôle d’impression, celle d’être devant un puzzle où les paragraphes ne se répondent pas toujours. Des astérisques séparent les mots, des citations appuient le caractère mélancolique de l’œuvre de Maurice Pialat. On navigue sans cesse entre l’analyse des films et les mots du cinéaste ou de ses collaborateurs. Cette barque ne coule jamais. A la fin, on a la sensation d’avoir mieux saisi la place des corps dans Van Gogh, l’enfance nue ou encore Nous ne vieillirons pas ensemble.

C’est par métonymie que Jérôme Momcilovic nous invite à approcher l’œuvre, d’abord par la main puis par les yeux. Si la main sert à sécher les larmes qui tombent des yeux, elle a d’autres fonctions. Elle englobe parfois le monde comme dans Le Garçu, dernier film de Maurice Pialat, où la main de Gérard Depardieu vient accompagner la main de l’enfant. Ce dernier se prénomme Antoine, fils du cinéaste, et il s’accroche à sa main dans un élan vital qui fait écho à une scène plus tardive : le père sert la main du Garçu avant sa mort. Les mains touchent avant d’affecter les yeux.

Un poing levé

 « C’est poser cent fois la question aux gens : combien êtes-vous sensible ?  ». C’est par cette citation de John Cassavetes que le livre s’ouvre. Si ce sont les affects qui intéressent Jérôme Momcilovic, il n’est pas surprenant de trouver une analyse de la séquence Pialat au festival de Cannes de 1987 : « Sous le soleil de Satan reçoit la Palme d’or ainsi qu’une volée de sifflets, et Pialat tend le poing. Mais l’essentiel est de part et d’autre, dans la main qui dit adieu à son personnage, ou étale du bleu pour en faire un ciel.  » Cette main qui peint du bleu est celle filmée dans Van Gogh. Ce n’est pas celle de Jacques Dutronc, qui ne convenait pas, mais celle du cinéaste.

En lisant attentivement le livre, on remarque plusieurs allusions au travail de peintre de Maurice Pialat avant que celui-ci n’enterre cela dans sa cave mémorielle. Obsession du geste, de la précision pour exprimer des sensibilités. Il a trouvé dans la caméra le pinceau qui lui convenait. Le chanteur Christophe dit ceci au début de J’l’ai pas touché, sur l’album Intime : «  Pour moi la musique c’est comme une matière, des couleurs à jouer, comme une peinture  ». A chacun sa toile.

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C’est la grande force du livre de Jérôme Momcilovic, celle de s’attacher aux gestes, au détail. Il ne s’agit pas de faire comprendre aux lecteurs les grandes lignes du cinéma de Maurice Pialat mais de s’attacher au furtif qui fonde la mélancolie. Il est alors tout à fait judicieux de rapprocher Maurice Pialat de Michael Cimino, ces deux fous du détail. On aurait aimé que le critique s’attarde davantage sur cette filiation comme le goût qu’affiche Pialat pour Rambo (Ted Kotcheff, 1983). A la manière de Schwarzenegger, Stallone s’est beaucoup appuyé sur son corps pour faire passer des émotions. Dans Rambo, il est presque mutique et c’est sa main qui fait preuve de clémence malgré la lame. Commence à se dessiner dans les écrits du Jérôme Momcilovic une importance donnée aux corps, de l’outrance hollywoodienne à l’étrangeté, parfois, des corps d’acteurs amateurs.

Un corps aux lisières du fantastique

« Le goût des films fantastiques l’accompagnera jusqu’à la fin. Dans la dernière interview qu’il accorde, cinq ans après Le Garçu, aux Cahiers du cinéma, il s’enthousiasme (c’est évidemment rare) pour un film qui fait alors un triomphe : Sixième Sens de M. Night Shyamalan  ». Cette nouvelle anecdote n’est pas surprenante tant le surnaturel chez Shyamalan transite par le corps et qu’il est parfois difficile de reconnaître un personnage mort d’un personnage vivant dans le film. D’où la présence de personnages placés dans un entre-deux, celui précisément qui fonde la mélancolie. Le réalisme de Pialat est donc onirique et cela est affiché exemplairement dans Sous le soleil de Satan.

Il y a beaucoup de choses dans ce petit livre de Jérôme Momcilovic qui « vaut la peine » et il n’est pas nécessaire de tout dévoiler. Les films de Maurice Pialat ressortent en salles actuellement. C’est l’occasion parfaite pour entamer la lecture de Maurice Pialat – La main, les yeux.

Maurice Pialat – La main, les yeux, Jérôme Momcilovic, Editions Capricci, 2021, 13,50 euros.

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