À travers une réalisation à la frontière du fantastique, Emmanuel Parraud met le cap sur une île marquée par le poids du colonialisme et de l’esclavagisme, La Réunion. Mystérieux et perturbant.
Comment interroger le douloureux passé d’une île où a souvent régné l’omerta ? C’est l’un des problèmes auxquels s’attache le réalisateur Emmanuel Parraud, pour son troisième long-métrage. Au lendemain d’une soirée arrosée, Alix ne retrouve plus son ami proche Marcellin. Ce dernier semble, aux premiers abords, avoir disparu dans le « fénoir » – obscurité, en créole – au beau milieu de la forêt réunionnaise. Alix décide donc de partir sur ses traces. Plus qu’une course contre-la-montre pour tenter de récupérer sain et sauf Marcellin, il tente surtout de se trouver une place, de découvrir sa véritable identité. Tourmenté, le personnage principal tombe dans un état proche de la folie. Les hallucinations et chimères, dont Alix fait sans cesse l’expérience, rappellent de tristes heures vécues par ses ancêtres.
Cela fait déjà plusieurs années que le réalisateur tourne sur l’île de la Réunion, comme dans Sac-la-Mort, au programme de l’ACID 2016. Il évoquait alors l’influence des croyances régionales dans un drame social aux genres similaires, mi-policier, mi-fantastique. Maudit ! en reprend certains traits, où les rôles des personnages principaux sont joués par des acteurs non-professionnels. Une inclusion qui donne parfois le sentiment d’être à la lisière du documentaire. Tout comme l’omniprésence du créole réunionnais, qui reste invisibilisé dans le paysage cinématographique français.
Vers le fantastique
De bout en bout, le long-métrage épouse le genre du fantastique. La musique introduit dès les premières minutes une atmosphère pesante, voire angoissante. Le caractère sauvage et vierge de la vallée réduit l’homme dans l’espace, qui s’aventure vers l’inconnu. De nuit, les délires du personnage principal s’amplifient, mêlant fantômes et vieux démons. Les vestiges colonialistes de l’île remontent alors à la surface. Gare à ne pas abuser du mélange de genres : le film présente une certaine tendance gore, capable de choquer un public non averti.
Maudit ! se remarque par l’incarnation intense du personnage principal d’Alix, interprété par Farouk Saidi. La caméra le suit sans relâche tout du long. Elle immerge le spectateur dans l’état d’esprit du protagoniste, que ce soit dans ses rêves, ses cauchemars ou ses mirages. Les nombreux gros plans sur Alix peaufinent cette atmosphère. Jusqu’à la fin, le personnage principal se cherche une appartenance, une identité dans laquelle il serait à l’aise. A tel point que la scène de fin s’achève sur cette phrase ô combien introspective : « Tu l’aimes la France, toi ? ».