RÉTRO MATRIX – Avant Matrix Resurrections, la rédaction de Maze vous propose une relecture de la saga culte des sœurs Wachowski. Commençons par le commencement avec le premier film de 1999. Un film donnant naissance à des formes nouvelles et conscientisées par les cinéastes.
En explorant le rapport qu’entretient la saga Matrix avec le cinéma dans notre imaginaire, nous ne pouvons pas passer à côté d’un paradoxe. Dans ce champ d’images mouvantes et montrables, Matrix insiste d’abord sur ce qui est fixe et ce qui ne se voit pas. La Matrice fonctionne en effet en circuit fermé, où le contrôle et le but qui lui est greffé sont d’ordre statique, dans un futur où les humains ne naissent plus. Et enfin, pour ces mêmes humains, cette Matrice leur est invisible.
Thomas Anderson est le fruit de ces contraires. C’est en devenant Néo, en devenant cinéma, que les contraires sont gommés par une furieuse et énigmatique envie de croire, de vivre. Il est ainsi temps de se réveiller, de redessiner les formes de la Matrice.
Introduire, puis redéfinir
Matrix premier du nom n’est pas qu’une question de scénario ou d’introduction : c’est un éveil des formes. Son modus operandi se situe à la frontière entre ce qui est raconté et conceptualisé. C’est une frontière infime dont la science-fiction s’est souvent portée garante, mais à un point où l’ancrage réaliste n’était à l’époque pas encore aussi exploré qu’ici. Traitement quasi-nouveau que les Wachowsky n’hésiteront pas à transpercer. C’est d’ailleurs ce que Morpheus révélera à Néo peu après le réveil de ce dernier dans le vrai monde : « Tu crois que nous sommes en 1999, en réalité nous serions en 2199 ». Derrière une forme se cache une autre qui la contredit, la déforme.
Dans ce premier rapport au réel, celui de 1999, se situe toujours la trace du concept selon laquelle il ne serait pas vrai. Le but du film est ainsi de conscientiser un autre réel par une liberté traduite par un mot, un seul. « Non », dira Néo, quand il prend conscience qu’il peut arrêter les balles des agents. L’éveil de Néo et de son spectateur, est le pouvoir de dire non et de lui conférer une nouvelle forme. La trace d’un autre réel possible peut se situer partout. Des coups de téléphone, la pluie reproduisant la trainée du code de la Matrice, ou un baiser d’amour et guérisseur. Embrasser comme vouloir une nouvelle réalité, mais avant tout la comprendre. Quelle belle leçon de consentement que voilà.
Que le scénario de Matrix ne se dévoile qu’après une heure de film n’est finalement pas très étonnant. Sauver Morpheus des griffes des agents est aussi important que de comprendre la Matrice pour en devenir l’Elu, nous dit le film. Cette frontière que nous décrivons entre ce qui est raconté et ce qui est conceptualisé se situe précisément ici. Ce qui en fait son principal défaut, n’aboutissant son scénario que par une structure assez classique. Mais aussi sa qualité, tant les images ne cessent d’être redéfinies par cette résolution voluptueuse, presque galvanisante, qu’une nouveauté (le concept de la Matrice) peut se redéfinir dans sa propre introduction. Chose vérifiée dans les volets suivants, en particulier dans Revolutions.
Ce qui doit être montré
Au-delà de ce qui est montré ou non, de ce qui fluctue ou non. Les Wachowsky s’affirment avec Matrix comme des cinéastes de la réaction, voire de la contestation. Matrix provoque les formes plus qu’il ne les crée : ce qui sera le sujet principal de Reloaded. Néo est provoqué dans son mode de vie matricielle comme il est remis en question par l’Oracle. Entre la réécriture de références évidentes (la scène d’introduction de Vertigo ou la structure de Alice au Pays des Merveilles) et son engagement politique (le danger du populisme face au pouvoir de l’engagement), définir de nouvelles formes veut aussi dire faire preuve d’un immense sens du romantisme, et donc d’une promesse.
Comme une conviction inébranlable, dans la lignée des films d’action des années 90. Avec cette touche futuriste, désirée et, à l’image de leur héros, conscientisée. Le premier Matrix est celui de la saga qui ressemblera le plus à la suite de la carrière des sœurs Wachowski : toujours entre récit et concept dans Cloud Atlas, un romantisme engagé dans Sense8, formes nouvelles dans Speed Racer… Matrix raconte peut-être la façon dont les formes naissent. Plus loin qu’une simple introduction d’une saga, passant par la conscientisation d’une image. Cette intensité dans l’engagement montre à quel point celle-ci est écrite dans un désir de s’imposer.
S’imposer dans un cadre où l’individu reprend sa place, choisit ce qu’il peut devenir, et à travers le cinéma. C’est tout le sens de l’une des scènes les plus matricielles de l’histoire, lorsque Morpheus propose les pilules à Néo. Comme un dialogue extrême entre l’objet-film et le spectateur : « Tout s’arrête… ou on descend avec le lapin blanc au plus profond du gouffre ». Force est de constater que l’engagement du spectateur permet aux formes de naître avec passion et engagement.