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Mardi Série – « A Young Doctor’s Notebook » : Médecine sous morphine

© Sky Arts

Deux fois par mois, la rédaction se dédie entièrement au «  petit écran    » et revient sur une série pour la partager avec vous. Toutes époques et toutes nationalités confondues, ce format pourra vous permettre de retrouver vos séries fétiches… ou de découvrir des pépites. Aujourd’hui, c’est au tour de la série britannique A Young Doctor’s Notebook.

Diffusée entre décembre 2012 et décembre 2013 sur le réseau Sky Arts 1 en Grande-Bretagne, A Young Doctor’s Notebook est diffusée sur Arte à l’automne 2020. La mini-série de huit épisodes est librement adaptée d’œuvres de l’auteur russe Mikhaïl Boulgakov et est réalisée par Alex Hardcastle (saison 1) et Robert McKillop (saison 2).

1934. Vladimir Bomgrad (Jon Hamm), médecin accompli, est au centre d’un enquête des services secrets soviétiques. Au cours des fouilles se tenant dans le bureau où il officie, il retrouve le carnet qu’il rédigeait alors qu’il était jeune, en 1917. Dans ses jeunes années, alors qu’on l’appelait Nika (Daniel Radcliff), il exercait à l’hôpital de campagne de Mourievo. Un lieu désolé où il a fait ses armes, non sans quelques difficultés.

Des nouvelles à la mini-série

En adaptant une collection de nouvelles de l’écrivain Mikhaïl Boulgakov, les réalisateurs on fait le choix judicieux de la mini-série. Un tel choix formel retranscrit l’effet condensé et fragmentaire des nouvelles tout en mettant en exergue le cynisme qui accompagne parfois cette profession.

Rapidement blasé, passant d’une intervention sanglante à une autre, Nika se présente tout d’abord comme un bleu. Un bleu qui, à la différence des internes d’aujourd’hui, n’a aucun médecin expérimenté pour guide.

Son seul mentor est une version plus âgée de lui même, qui tentera vainement de l’aider dans une vie déjà toute tracée. La mise en scène donne l’impression au spectateur de découvrir une histoire en train de s’écrire alors qu’elle est en vérité le passé d’un Vladimir Bomgard relisant ses carnets de jeune médecin. Ce dernier replonge littéralement dans ses souvenirs, entraînant le spectateur dans son sillage.

Jon Hamm dans le rôle de Vladimir Bomgrad en 1934 ©SkyArts

Le choix du récit enchâssé est là encore très pertinent et fait honneur à l’une des œuvres de Boulgakov dont s’inspire principalement la série.

De fait, le procédé semble apprécié par l’auteur russe qui l’utilise comme un moyen de mettre à distance ces personnages, doubles de lui-même. C’est le cas dans Morphine, récit autofictionnel, dans lequel le docteur Bomgard est en possession du journal intime de Sergueï Poliakov, ancien confrère morphinomane s’étant tout juste suicidé.

En mélangeant habilement la trame narrative des Récits d’un jeune médecin et de Morphine, la série parvient à livrer un tout cohérent. Le résultat est pétri d’humour noir et de réels questionnements sur l’éthique, la médecine et l’addiction.

Éthique, addiction et humour noir

La thématique des membres du personnel médical addict est courante dans les séries médicales. De Dr House a Nurse Jackie en passant par la plus récente et moins connue The Knick, il semblerait que le topos soit porteur. A Young Doctor’s Notebook n’échappe pas à la règle et met aussi en scène le tiraillement du jeune médecin lorsqu’il doit choisir entre sa dose de morphine et le bien de ses patients, de son entourage, etc.

Les dialogues entre Vladimir Bomgrad et son double prennent alors toute leur puissance, l’un avertissant l’autre des dangers de la morphine. L’insouciance de Nika vaincra, il sombrera inévitablement dans l’addiction. Cette addiction dont il se croyait protégé par son statut de médecin connaissant les effets de l’antalgique. Le double regard posé sur cette drogue, celui de l’homme sevré et du futur addict, donne lieu à une mise en scène où la psychologie des personnages n’est pas en reste.

Une saison 2 plus sombre

Ce fil narratif, très présent dans la saison deux, assombrit un peu plus la série qui se transforme alors en comédie dramatique. La saison une se présentait, elle, comme une comédie noire et globalement A Young Doctor’s Notebook penche plus du côté de la comédie que de la tragédie, étonnamment.

©SkyArts

La série, qui se déroule en huis clos a quelque chose de quasi théâtral. L’usage du comique de répétition, la façon dont les acteurs jouent véritablement avec leurs corps, exagérant leurs mouvements et leurs expressions témoignent de cette théâtralité. C’est une impression encore renforcée par le casting de la mini-série qui se résume à une poignée d’acteurs. Daniel Radcliff en tête montre un véritable talent pour la comédie, et prouve qu’il est capable d’être plus qu’Harry Potter dans nos esprits.

Mais l’humour de A Young Doctor’s Notebook reste cela dit terriblement grinçant. Les réalisateurs parviennent à faire rire le spectateur avec une scène aussi abominable que l’amputation d’une fillette ou encore l’arrachage d’une molaire pour le moins violente. La série présente un aspect gore qui pourrait rebuter les personnes les plus sensibles, soyez-en avertis  ! Mais c’est là le génie indéniable de cette mini-série qui va du burlesque au tragique en passant par le gore. Le tout sans jamais abandonner le spectateur en cours de route.

Un personnage en perpétuelle évolution

A son arrivée à l’hôpital de Mourievo, Nika est ce qu’on appelle vulgairement un bleu. A peine reconnu par ses futurs collègues comme praticien, il semble avoir du mal à croire lui-même qu’il est docteur. Son manque d’expérience est encore plus flagrant lorsqu’on le compare à l’homme qu’il remplace, le très barbu et vénéré Leopold Leopoldovitch. L’humour de la série repose dans une première partie sur l’inaptitude de Nika à venir en aide à ses patients sans se précipiter sur les ouvrages de médecine que comporte la bibliothèque très garnie de son prédécesseur. Le protagoniste en mal d’expérience est inévitablement en manque de reconnaissance.

Pourtant, Nika va asseoir son autorité démontrant qu’il est capable d’exercer en tant que médecin au fil des épisodes. Sa crédibilité aux yeux de ses collègues augmente a chaque intervention se déroulant avec succès.

En parallèle à ça la série développe le fil rouge de l’addiction. L’addiction est cachée de presque tous (seule Pelageya semble s’apercevoir de l’addiction profonde de Nika) à l’exception du spectateur, omniscient. Son autorité, durement gagnée, se verra progressivement mise à mal alors qu’il multiplie les interventions ratées à cause de la morphine. Sa chute lente vient entacher la relation de confiance qu’il avait peiné à créer avec ses collègues.

Un grand final bien pessimiste

Tandis que ses connaissances en matière de médecine augmentent – en témoigne son détachement progressif des livres -, Nika se dégrade aussi bien physiquement que moralement. Jusqu’à l’apogée du dernier épisode ’où Nika perd tout sens moral et se voit offrir une promotion. Un dénouement qui porte un regard terriblement sombre et pessimiste sur la profession de médecin.

L’évolution du personnage de Nika est remarquable dans le sens où il passe d’un extrême à l’autre dans les yeux du spectateur également. Du jeune insouciant qui attire l’empathie et les rires il devient un homme plus affirmé mais totalement abjecte qui ne peut attirer que pitié et mépris.

A Young Doctor’s Notebook est une véritable curiosité. Une de ces séries pas comme les autres qui se gardent et se regardent précieusement. Les réalisateurs parviennent avec brio à porter à l’écran l’œuvre de Boulgakov déjà non-dénuée d’humour et mettent en valeur tout ce qui fait de la prose de l’auteur russe de la matière à chef-d’œuvre.

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