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« Les Frères Karamazov » : tel père tels fils

Simon Gosselin

Sylvain Creuzevault est de retour au Théâtre de l’Odéon avec Dostoïevski. Après Les démons en 2018 et Le Grand Inquisiteur en 2020, le metteur revient avec Les Frères Karamazov. Malheureusement, tout le talent et l’énergie des acteurs ne parvient pas à conjurer l’ennui qui se dégage de cette adaptation.

Dieu, la honte, l’envie, la vengeance, le parricide, voila quelques uns des thèmes clés de l’œuvre de Fiodor Dostoïevski. Dans la galaxie des frères Karamazov il y a  : un père affreux, trois fils «  officiels  » (Aliocha le religieux, Ivan l’intellectuel et Dmitri le flamboyant). On retrouve aussi : un laquais trouble (Smerdiakov), un religieux vivant puis mort (le Starets), une sage fille de militaire (Katérina) et une aux mœurs plus légères (Grouchenka) ainsi qu’un enfant et son père humilié. Tout se cristallise autour des relations entre Dmitri et le père qui se disputent de l’argent et le cœur de Grouchenka, dont ils se sont tous deux amourachés. Arrive ce qui devait arriver  : quelqu’un tue le père. On accuse Dmitri, on le traduit en justice. Le destin de tous les personnages bascule. 

D’un Karamazov à l’autre 

En dépit de la somme qu’ils représentent, Les Frères Karamazov sont souvent montés au théâtre.  En 2016, Jean Bellorini avait créé à Avignon une version littéraire et humaine. La même année, Frank Castorf avait présenté une vision déjantée. Ces adaptations régulières sont l’occasion de rappeler les possibilités infinies de lecture qu’offre ce roman foisonnant.

Elles permettent aussi de réaliser que certaines lectures sont plus intéressantes que d’autres. Celle de Creuzevault déçoit, notamment par rapport à ses créations précédentes. Que ce soit dans Les démons, Le Grand Inquisiteur ou en encore Banquet Capital, le metteur en scène nous avait habitué à des spectacles intenses, politiques, riches sur le fond et souvent terriblement drôles. S’appuyant sur des acteurs qui participent à la création, rompus à l’improvisation, tout s’y déroule vite et nous emporte sans nous perdre. C’est un théâtre populaire et pédagogique dans le bon sens du terme. Dans ces Frères Karamazov, rien de cette magie ne semble opérer. On voit bien que les ingrédients sont là, on les reconnait même, cependant la mayonnaise ne prend pas.

La scène de la mort du Starets dont le cadavre, au grand désespoir d’Aliocha, pue comme tous les autres © Simon Gosselin

On peine à s’intéresser au destin de tous ces personnages, pire, on ne comprend pas ce qui a pu intéresser Creuzevault dans ce texte. À aucun moment il ne creuse ce que le livre recèle de plus intéressant (au hasard, la notion de vengeance, le sentiment intime et social de honte). Dans le roman, les personnages sont perclus de contradictions. Sur scène, réduits à l’état de girouettes, ils disent tout et son contraire. Certes, on parle (bien), on crie, on rit. Malheureusement, rien ne perce vraiment la surface des choses et tout manque de rythme.  

De grands acteurs 

Tout n’est pourtant pas raté. Loin de là. Les acteurs sont excellents, en particulier Nicolas Bouchaud (le père et l’avocat), Sava Lolov (le Starets et le procureur) et Arthur Igual (Aliocha). Creuzevault, qui joue lui-même Ivan, sait aussi faire rire, même s’il se contente de le faire sur les moments les plus attendus. Certains choix sont particulièrement justes  : ne pas faire d’Aliocha un personnage romantique et éthéré, ne pas faire de Grounchenka une caricature de femme légère.

Côté mise en scène, la partie consacrée au procès est particulièrement réussie. Pour évoquer la froide Sibérie dans laquelle Dmitri s’apprête à être déporté, les comédiens sont revêtus de doudounes maculées de fausse neige (de la litière de chat bombée, nous dit-on). On retrouve quelques drapeaux russes dispersés sur le plateau blanc, figés comme pris dans la glace. D’autres options sont plus discutables  : la musique en direct, la redondance des adresses au public (comme pour vérifier que tout le monde comprend bien ce qui se passe mais ne fallait-il pas y penser avant ?). Un spectacle tout aussi paradoxal que ses personnages, qu’on a envie d’aimer sans vraiment y parvenir. 

Les frères Karamazov de Sylvain Creuzevault d’après Fiodor Dostoïevski à L’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 13 novembre puis en tournée. Spectacle en français. Durée : 3h15 avec entracte. Informations et réservations  : ici

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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