CINÉMA

« Las Niñas » – La fabrique des filles

Las Niñas
© Épicentre FILMS

Dans l’Espagne des années 1990, Célia, fille d’une mère isolée, quitte l’enfance pour entrer dans l’adolescence. Pilar Romero signe avec Las Niñas un récit initiatique touchant qui montre au plus près les injonctions contradictoires qui pèsent sur les femmes. 

Saragosse, 1992. Célia est une enfant aux grands yeux bruns qui vous toisent avec un air innocent. La petite fille à la gueule d’ange grandit seule avec sa mère – comprenez que le père s’est barré. La religion est encore une affaire très sérieuse dans cette petite ville d’Espagne. Malgré l’écart à la religion que constitue Célia elle-même (née hors mariage), sa mère la place dans une école catholique. Là-bas des bonnes sœurs lavent le cerveau des petites filles par une éducation qui leur apprend méthodiquement la honte de soi, de leurs corps et de leurs désirs. Un jour, à l’école, arrive Brisa, une orpheline débarquée tout droit de Barcelone. D’un seul regard, les deux jeunes filles deviennent amies. Et entrent, ensemble, dans l’adolescence. 

S’émanciper

L’entrée dans l’adolescence des filles de cette école catholique est un chemin de croix sur lequel fleurissent les injonctions contradictoires. Entre désir de ressembler aux femmes, les vraies – celles de la télévision et des magazines, plantureuses, sexualisées et maquillées – et l’éducation catholique enseignée à l’école par les bonnes sœurs. Les jeunes filles se rassemblent et font l’expérience d’elles-mêmes, de leurs limites, grisées par l’effet de groupe. 

Pilar Romero parvient à filmer au plus près de son héroïne le contraste vertigineux entre le désir d’émancipation et d’affirmation de soi, constitutif de l’entrée dans l’adolescence et les injonctions de l’entourage religieux, qui semble condamner les femmes dès qu’elles osent être autre chose qu’invisibles. Les gamines s’échappent de la projection d’un film catholique pour aller fumer des clopes à l’arrêt de bus, se déguisent à la chaîne avec le même rouge à lèvre volé à une des mères, s’incitent à boire de l’alcool entre deux «  je n’ai jamais  », vont en boîte et expérimentent pour la première fois le regard insistant et encore timide des garçons qui glisse sur leurs corps. 

L’impasse

En fixant son regard sur une éducation religieuse injustement sévère et résolument misogyne, Pilar Romero fait état de la contradiction insupportable qui étreint les jeunes filles. Et à fortiori, les femmes dans la société. Ainsi, la mère de Célia tente de rentrer dans les clous. Mais voilà, elle est mère célibataire. Le père l’a quittée en apprenant la nouvelle, sa famille l’a quittée de honte. «  Ne te vexe pas, mais à l’école on dit que ta mère est une pute  » glisse Brisa à son amie Célia à la sortie de l’école. «  Pile  » et la religion gagne, «  Face  » et les femmes perdent. 

La réalisatrice rappelle à notre bon souvenir, avec Las Niñas, le décalage quasi exotique entre une Espagne encore rétrograde en termes de droit des femmes et une Europe de l’Ouest qui a déjà pris le virage de la modernité. Une piqûre de rappel aussi désagréable que nécessaire, symbolisée avec grâce par des comédiennes prometteuses. 

Journaliste

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