LITTÉRATURE

« La femme sur le toit » – La mélancolie en ville

La femme sur le toit
© éditions Picquier

Recueil de poèmes traduit du chinois, La femme sur le toit de Xiuhua Yu se lit comme une longue méditation contemplative, entre observations de la nature et du temps qui passe.

La première page de ce recueil de poème raconte l’histoire de cette poétesse qui n’était pas vouée à en devenir une. Parce que la poésie est un genre littéraire devenu rare et que parmi les poètes, les poétesses se font encore plus rares. Mais aussi parce que Xiuhua Yu, née handicapée dans un milieu ouvrier chinois avant d’être mariée de force par ses parents. Selon les mots de l’éditeur-même, sûrement selon les siens aussi, elle n’était promise à rien d’autre « qu’aller chez Foxconn travailler en tant qu’ouvrière pour fabriquer des iPhones. »

Mais parfois la vie a plus d’imagination que le plus farfelu des écrivains. Alors, quand son mari, maçon itinérant et toujours en vadrouille dans le pays, quitte la maison, Xiuhua Yu se met à écrire des poèmes qu’elle publie sur son blog. Elle a vingt-sept ans et aucun autre projet que de s’évader, de s’extraire du monde par les mots, qui ont toujours eu cette formidable capacité de rendre belles de choses qui ne le sont pas. Xiuhua Yu habille le banal avec des vers simples, contemplatifs ; ses mots illuminent la nature qui l’environne et le font sans fard, l’air de rien.

«  Pardonnez-moi, j’écris encore des poèmes  »

Les poèmes de Yu nous parlent des choses de la vie et du quotidien. « Pardonnez-moi j’écris encore des poèmes » s’appelle l’un deux. Parce que la règle, c’est un par jour. C’est suffisant pour se révéler le monde à soi-même, au-delà, c’est trop, « trop fatiguant », plaisante-t-elle. D’ailleurs, un par jour, et si possible le matin. C’est comme ça qu’il faut aussi les lire. Parce que chaque poème est un rythme, une musique qui protège, qui nous accompagne tout au long d’une journée. Comment le monde peut-il être laid quand on a la poésie avec soi ?

D’ailleurs, les chinois ne s’y trompent pas. Yu publie régulièrement sur son blog. Ses mélodies contemplatives sont repérées par une revue poétique chinoise qui ne tarde pas à la publier. Bientôt, c’est une maison d’édition qui la publie. Et ce, malgré son statut d’ouvrière, malgré le handicap. Les éditeurs ne voient que son talent, les lecteurs aussi. Le livre, le sien, La femme sur le toit, devient le livre de poésie contemporaine le plus vendu du pays. Elle gagne suffisamment d’argent pour en vivre, pour divorcer, donne des conférences et surtout de la voix. Peut porter ses mots, passer sa vie à observer. À changer le monde en beauté. Alors, pour se convaincre de la portée de ces vers, il ne reste plus qu’à les lire.

«  pareille aux étoiles à la tombée de la nuit, brève étincelle, je marche dans le cimetière, allumée / le secret ne cesse de croître en moi, feu imprenable / le vent glisse, léger il saisit le feu, fort il m’éteint / ils me regardent à travers la terre, ces êtres au front du temps / qui se sont d’abord endormis pour moi, ont emporté pour moi sous terre un demi-monde / alors je vais clopin-clopant, rasant la chair des tombes, saignant  »

En traversant le cimetière, Xiuhua Yu dans La femme sur le toit

La femme sur le toit de Xiuhua Yu, poèmes traduits par Brigitte Guilbaud, éditions Picquier, 18 euros.

Journaliste

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