CINÉMA

(Re)Voir – « La Fièvre dans le sang » : De l’Abstraction

La Fièvre dans le Sang (1961) - Elia Kazan © WARNER BROS
© WARNER BROS

Avant-dernier film de la période faste d’Elia Kazan, La Fièvre dans le sang est une œuvre mélancolique et flamboyante. À voir sur Ciné + Classic.

La Fièvre dans le sang se passe juste avant le krach boursier de 1929. Deanie (Natalie Wood) et Bud (Warren Beatty) s’aiment. Mais les attendus parentaux se heurtent avec cet idylle. Ace (Pat Hingle), le père de Bud, voit Deanie comme un obstacle contraignant le sacre de son fils comme héritier financier. De plus, ses parents restent limités par leur vision très puritaine du couple.

Le vague à l’âme d’Hollywood

Au début des années 1960, la machine à rêve est enrayée. Les réalisateurs classiques signent leurs adieux au studio system de plus en plus fragile. L’héroïsme cède à la mélancolie. Tous les films de la période portent le paradoxe de regretter et commémorer le passé en parlant du futur. La fin de La Fièvre dans le sang illustre cette tension. L’épilogue ressemble à se méprendre à celle des Parapluies de Cherbourg , mais le plan final se rapproche plus de celui du Lauréat. Le point de vue du personnage de Natalie Wood met l’emphase sur la solitude douce et acide comme si Jacques Demy avait filmé Catherine Deneuve au lieu de Nino Castelnuevo.

À l’Est d’Éden (1955) – Elia Kazan © WARNER BROS

Elia Kazan réussit à orienter son film vers le Nouvel Hollywood. Il a saisi les interrogations de la jeunesse américaine de son époque. La structure classique du scénario, écrit par William Inge, utilise des personnages archétypes et contraste avec les codes alors quasi anachroniques du teen movie. La direction artistique allie à la fois le Technicolor qui n’est plus la norme et des paysages filmés dans l’arrière pays new-yorkais préfigurant les premières œuvres de Terrence Malick. L’académisme de la mise en scène se mêle avec le triomphe absolu d’Actors Studio dominant le cinéma américain jusqu’alors.

Le tourment de l’acteur

Le jeu de Natalie Wood et de Warren Beatty se rapproche souvent de la performance prônée par l’école new-yorkaise. Elia Kazan était d’ailleurs membre fondateur avec entre autre Cherryl Crawford. La scène de panique dans la baignoire est centrale dans le récit. C’est donc l’objet évident d’une prouesse de jeu censée être incarnée. Mais Wood impressionne surtout quand son rôle requiert plus de sobriété dans un registre plus classique, plus subtil.

Beatty porte pour son premier rôle la lourde tâche de succéder à James Dean. En effet, plus de cinq ans après son tragique accident, le jeu animal de Dean dans La Fureur de vivre de Nicholas Ray ou À l’Est d’Éden de Kazan représentait déjà la jeunesse en manque de repère. L’influence amère de James Dean semble figer le travail de Beatty. Il décide de ranger le personnage de Bud parmi la trop longue liste des monolithes d’une facile et fade rectitude.

Les confrontations parentales sont plus lisibles grâce à des séquences type rentrée des classes. La mise en scène de Kazan souligne plutôt subtilement son propos. Lorsque Bud tombe malade, Deanie va prier auprès d’un prêtre. La contre-plongée écrasante de l’ecclésiaste ironise son incapacité à apaiser les incertitudes de l’adolescente. Séquence suivante, Bud est guéri, il confesse ses mésaventures sentimentales, ses problèmes familiaux. Mais le médecin, que l’on soupçonne distrait et fuyant la souffrance morale de son patient, prescrit du fer et une consultation de contrôle. Les deux scènes, et plus particulièrement l’enchainement, clarifient le message d’incommunicabilité générationnelle.

Un mélodrame transcendant

Kazan ne montre pas vraiment Deanie ou Bud mais la Jeunesse en tant que concept. Le Père de Bud est un magnat parmi tant d’autres qui se défenestre après le Jeudi noir. La plupart des personnages sont des symboles et tendent à le rester. La démarche n’est pas un point de discrédit en soi. D’abord c’est le mode d’écriture des grands westerns américains. Ensuite, il permet une très belle idée à la sortie de l’hôpital psychiatrique de Deanie. Dernier entretien avec le psychiatre, il évoque l’importance de se confronter à son ancien amour. Le médecin et Wilma Dean se dirigent vers le seuil d’une porte. Puis, il la ferme partiellement laissant Deanie décentrée et surcadrée par l’entrebâillement. Un personnage finit par la comprendre, la laissant prendre seule ses décisions tout en figurant l’injonction à répondre, à rentrer dans le rang.

La Fièvre dans le Sang (1961) – Elia Kazan © WARNER BROS

La grande réussite de Kazan est d’avoir su intégrer au sein de son œuvre une autre immigration que celle du Mayflower. Dans America, America certes, mais surtout dans Panique dans la rue. La Nouvelle-Orléans, chaude et moite permet de faire cohabiter sud-américains, asiatiques, européens de l’Est. Le regard quasi documentaire, en tout cas à hauteur d’Homme, rend justice à une population trop souvent occultée. La verticalité du récit occulte cette principale qualité. La jeunesse représentée n’est qu’une charmante chimère. En se privant de sa plume de chroniqueur, le réalisateur d’origine grecque confère un texture littéraire à ses personnages. En effet, il existe très peu de séquences exposant un groupe d’adolescents interagissant entre eux en dehors de l’école.

Tantôt magnifique, tantôt plus claudiquant, La Fièvre dans le sang est un très grand film. À la fois classique et visionnaire, Kazan évoque une Amérique du nord désabusée se fondant avec une beauté déchirante dans le Hollywood dépressif représenté par un Code Hays bafoué depuis dix ans.

Ciné + Classic diffuse La Fièvre dans le Sang le 07/11 à 15h59.

La Fièvre dans le Sang (1961) – Elia Kazan © WARNER BROS

You may also like

More in CINÉMA