LITTÉRATURE

« Réinventer l’amour » – Le couple hétérosexuel va mâle

Réinventer l'amour
Réinventer l'amour : comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles © éditions Zones

Trois ans après la parution de son essai Sorcières, Mona Chollet revient sur le devant de la scène littéraire en majesté pour présenter Réinventer l’amour et tenter ainsi de répondre à la question qui brûle les lèvres de toutes les féministes  : peut-on concilier engagement féministe et couple hétéro  ? 

Après avoir longtemps tourné autour du sujet, le couple hétérosexuel fait l’objet de nombreux essais de cette rentrée littéraire. En 2017, Titiou Lecoq expliquait que le combat féministe commençait devant le panier de linge sale – nous invitant ainsi à penser l’intime comme un fait politique à part entière. La bédéaste Emma théorisait les notions de charges mentale et émotionnelle, le couple hétérosexuel demeurait un idéal enviable et n’était pas encore pensé comme lieu d’oppression par excellence. Le mouvement #MeToo a fait son œuvre. Il a révélé l’ampleur des violences sexuelles subies par les femmes. Des violences commises par des hommes souvent proches, par nos partenaires parfois. Les hommes violent, savait-on déjà. Nos hommes nous violent, apprenait-on. Mais pas que. Les hommes tuent, résumait Alice Coffin dans l’excellent Génie Lesbien

Le couple hétérosexuel en questions

Au printemps dernier, Judith Duportail faisait paraître Dating Fatigue, un essai sur le mode du «  je  » dans lequel au gré des rencontres et des dates, elle se demandait comment les femmes pouvaient-elles avoir encore envie de rencontrer des hommes au sein de relations qui sont toujours à leur bénéfice. Des écrits qui faisaient étrangement écho aux paroles de Virginie Despentes, dans un entretien réalisé pour le podcast Les Couilles sur la Table  : «  le jour où il ne sera plus dévalorisant socialement d’être lesbienne, il n’y aura plus aucune meuf pour être hétéro.  » Les mots font leur chemin dans l’esprit de l’intervieweuse, Victoire Tuaillon, qui sort aujourd’hui un livre, version enrichie de son nouveau podcast Le Cœur sur la Table, qui se demande avec le même sérieux comment faire la révolution sexuelle. Au même moment, Lucile Quillet avec son essai Le Prix à payer se demande combien le couple coûte-t-il aux femmes hétérosexuelles. 

C’est dans cette effervescence-là que Mona Chollet, trois ans après avoir été sacrée papesse du féminisme avec un dernier ouvrage toujours en tête des ventes, choisit de publier Réinventer l’amour. Sous-titre  : Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles. Allons-y gaiement. 

Réinventer nos imaginaires

Se demander pourquoi des relations inégalitaires naissent au sein des relations de couple hétérosexuelles, c’est se demander en filigrane quelle éducation à l’amour les filles ont reçue dans leur enfance. À mille lieues de la féministe « badass » qu’elle disait donner l’impression d’être dans Sorcières, Mona Chollet se présente ici comme une « midinette » comme les autres, biberonnée aux histoires d’amour présentes dans tous les pans de notre pop culture. Une culture qui représente toujours les femmes comme les objets du désir des hommes, toujours mises à l’abri par eux. 

Ainsi, l’essayiste avoue avoir, pour son loisir, écrit un roman qu’elle n’avait nullement l’intention de publier. Dans ce roman, une jeune autrice en résidence artistique chez un riche mécène se voyait proposer par celui-ci de rester pour toujours, d’être payée indéfiniment, en échange de services un peu particulier… Vous l’avez. Mona Chollet a inventé la «  version intello  » de Cinquante nuances de Grey. Quelques mois plus tard, le vrai Cinquante nuances devenait un succès planétaire. Et Chollet d’ironiser : «  On se rêve en Simone de Beauvoir et on se réveille en E.L. James, ça calme.  » 

À l’œuvre dans ces fantasmes, le désir de sécurité concomitant à la relation. On rêve, presque malgré nous, d’un homme providentiel. De quelqu’un qui viendrait nous résoudre et nous exaucer. Mais aussi, d’un homme que l’on pourrait soigner et réparer – le fantasme du soin étant toujours à l’œuvre. Réinventer l’amour parle moins du couple que de la nécessité de se réformer soi-même pour s’extraire de la dépendance affective que l’on apprend méthodiquement aux femmes. Penser que si l’on est seule on a moins de valeur, qu’être avec un homme nous protège, qu’il va changer et que tous les efforts que l’on peut produire pour entretenir une relation en valent la peine. 

«  (…) Il me paraît indéniable que, en abreuvant les filles et les femmes de romances, en leur vantant les charmes et l’importance de la présence d’un homme dans leur vie, on les encourage à accepter le rôle traditionnel de pourvoyeuse de soin. (…) si l’existence et la viabilité de la relation leur importe davantage qu’à leur compagnon, en cas de désaccord sur n’importe quel sujet, ce sont elles qui seront amenées à céder, à faire des compromis ou à sacrifier.  »

Mona Chollet, Réinventer l’amour : comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles

Se libérer des carcans de l’hétérosexualité, c’est aussi savoir quand est-ce qu’il est bon de faire des efforts ou non. De ne plus être celle qui fait tenir la relation à tous crins, au mépris de ses désirs, de l’affirmation de soi, de son temps libre. Tout un programme. Mona Chollet cite l’autrice bell hooks qui affirme que les femmes croient savoir comment aimer mais qu’en réalité elles aiment mal. Apprenons à être égoïstes. À ne pas s’investir dans une relation qui n’en vaut pas la peine. À avoir du temps pour soi. Et, pourquoi pas ? Une vie à soi.  

Réinventer l’amour  : comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles de Mona Chollet, éditions Zones, 19 euros. 

Journaliste

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