CINÉMA

« Petite soeur » – Se sentir vivant

Petite Soeur © Vega Film
© Vega Film

Dans leur second long-métrage, les réalisatrices Stéphanie Chuat et Véronique Reymond racontent l’approche d’une déchirante séparation inévitable entre deux jumeaux. Poignant, Petite soeur est porté par les merveilleux Nina Hoss et Lars Eidinger.

Comment ne pas s’émouvoir quand le personnage de Sven, interprété par l’ immense acteur allemand Lars Eidinger, pénètre dans la Schaubhüne (Berlin), pose la couronne dHamlet sur sa tête et fait son entrée sur scène en pleine répétition dans le célèbre décor de Thomas Ostermeier, incarnant ici le metteur en scène ? La réalité s’immisce dans la fiction, lui donnant une saveur plus vraie.

Cette mise en abime du monde du théâtre place les personnages dans un univers qui interroge la création artistique comme rempart pour survivre. Mais la fiction est ailleurs. Sven est malade. Sa soeur jumelle Lisa (Nina Hoss), autrice et femme d’un directeur d’école internationale en Suisse n’arrive plus à écrire et déploie toute son énergie pour maintenir son frère en vie. Leur mère (Marthe Keller), femme égocentrique et névrosée, ne jurant que par le théâtre de Brecht, refuse de comprendre ce qu’il se joue.

Du désordre artistique berlinois aux calmes paysages suisses, les jumeaux vont se battre dans une mise en scène tendue et saisissante. La caméra à l’épaule suit Lisa au plus près, elle, qui porte toute sa famille, des enfants et un mari (Jens Albinus) tentant de prendre les décisions à sa place. Or, il y a ce frère, la chair de sa chair, le sang de son sang, plus vieux de seulement trois minutes. L’approche de la fin de l’un va les réveiller tous les deux. Comme deux enfants, le lien qui les unit est plus fort que tout.

Seuls leur restent le jeu et la créativité. Remonter sur scène reprendre Hamlet. Ou alors écrire un texte, inspiré d’Hansel et Gretel, ces deux frères et soeurs, eux aussi esseulés. Une complicité renforcée par le duo de comédien.nes, qui, brillants séparément, créent ensemble une évidente connexion. Et pour cause, ils se connaissent depuis qu’ils ont vingt ans et ont étudié dans la même école de théâtre.

Au coeur de la justesse

Onze ans après La Petite chambre, les réalisatrices Stéphanie Chuat et Véronique Reymond approchent avec Petite soeur une justesse d’écriture dans laquelle des acteurs.rices de ce niveau ont juste à se glisser pour composer. S’ils se jettent à corps perdus dans cette histoire, créant des montagnes russes émotionnelles, le film ne tombe jamais dans le pathos. Malgré cette fin inéluctable, le rythme du montage et l’humour disséminé permet d’aborder la future séparation dans un élan de vie et d’étincelles. Sven change de perruques comme ils changent d’humeur et Lisa lutte à son diapason.

Bercées par la musique de Brahms et son lied Schwesterlein – titre original du film – les images du directeur de la photographie Filip Zumbrunn laissent entrer la lumière, sublimant chaque plan. Comme un instant charnière, scindant le film en deux, dans un désir de tout ressentir, Sven rejoint son beau-frère explorer les paysages suisses en parapente dans une scène d’action vertigineuse. Une courte respiration avant de replonger dans un tourbillon poignant.

Les réalisatrices et scénaristes qui travaillent en duo depuis leur début explorent leurs histoires dans différents formats. Du documentaire, séries ou long-métrage, ils signent avec Petite soeur un film vital où cette simple histoire de gémellité, qu’elles connaissent si bien, et de peur de la séparation rend hommage à leurs acteur.rices. Ils.elles s’offrent à cette pulsion créatrice dans une vérité pure où l’on pourrait mourir sur scène, la couronne d’Hamlet posée sur la tête.

Pour aller plus loin : l’entretien avec les réalisatrices Stéphanie Chuat et Véronique Reymond à lire ici.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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