Avec Mausolée, l’autrice Louise Chennevière signe un texte court, directement adressé à l’homme avec qui elle a eu, avant qu’il ne la quitte, une relation adultère. Un roman qui ressemble à un long râle et qui décrit avec précision les mécanismes de l’emprise.
Elle a froid, elle a chaud, c’est probablement l’alcool qui la maintient dans cet état d’éveil à la fois insupportable et particulier. Peut-être aussi qu’il s’agit de la douleur, difficile de l’affirmer avec certitude. De ce petit livre de cent cinquante pages, on ne gardera que les songes. Pas d’intrigue ici, c’est la petite musique de la douleur de Louise Chennevière, qui emporte dès la première page. La douleur est celle causée par une relation avec un homme que l’on devine malsaine, nauséabonde. Le genre qui détruit, qui empêche d’avoir confiance en soi, qui prive de l’envie de vivre.
Un mausolée à ta haine
On le devine entre les pages cet homme dont l’autrice parle, à qui l’autrice pense, à qui elle s’adresse. Un homme qui ne manquera jamais d’envahir tout l’espace des cent cinquante pages qui lui sont consacrées. Il ne laisse rien passer : rien n’échappe à son règne. Parce qu’en substance, c’est là qu’est la véritable domination.
Sur son royaume, il est devenu comme un maître. Un maître ou un roi, magnifique, le sourire d’ange, insondable, parfois attentionné, injuste souvent. La vie est parfois moins originale que les romans : l’homme en question est déjà en couple. La relation qu’il entretient avec l’héroïne est clandestine. Il prend, il jette, elle-même semble ne plus savoir si c’est elle ou leurs rendez-vous qui le sont, clandestins.
« Cet air espiègle que tu avais toujours, est-ce de triomphe, de défi, quelque chose de l’enfance encore dans le regard, comme toujours sur le point de dire, de faire ce qu’il ne fallait pas, déjà pardonné, toi, ta voix, une voix grave, rocailleuse, abîmée par ces clopes que tu fumais à longueur de journée, traînant sur les mots avec indifférence, oui, traînant toujours au début des phrases comme si tu ne voulais pas vraiment parler »
Louise Chennevière, Mausolée
Reprendre la parole
Dans ce texte, les phrases sont longues, s’étirent à l’infini, dansent au gré des virgules. Il faut tout solder, tout raconter, tout dire. Seulement après, la narratrice de ce drame en plusieurs actes pourra être libre. Ce qui se joue ici, c’est une grande entreprise de liberté dans laquelle la femme bafouée se réapproprie la parole, sa propre parole.
Elle nomme les évènements et les injustices. Elle explique, probablement pour elle mais aussi pour toutes celles que cela pourrait concerner : la maltraitance. D’ailleurs, ce Mausolée, le Roi n’en voulait pas. Il ne voulait pas qu’elle prenne la plume pour parler de lui, pour dire la réalité de ce qu’elle a vécu. Parce que depuis toujours – et lui n’échappe pas à la règle – dominer, c’est priver l’autre de la parole. Et Mausolée, ici, s’impose comme un immense acte de liberté.