Encre fraîche est un format made in Maze qui tire le portrait d’une autrice ou d’un auteur francophone de moins de 30 ans. Pour l’occasion, nous avons rencontré Maud Ventura, rédactrice en chef des podcasts du groupe NRJ et autrice de Mon Mari paru en cette rentrée aux éditions de l’Iconoclaste.
À l’heure où un nombre croissant d’essayistes féministes se penchent sur la question des inégalités au sein du couple hétérosexuel, Maud Ventura signe un texte volontairement provocateur. Elle met en scène le quotidien d’une femme follement éprise de son Mari (qui ne sera jamais nommé parce que l’appeler « mon mari » lui est plus agréable), de l’idée qu’elle se fait de l’amour et du couple, jusqu’à en avoir le tournis.
Un roman à mi-chemin entre le huis-clos et la comédie, dans lequel s’étend sur une semaine cette passion étrange, obsessionnelle, sans que l’on ne sache jusqu’où elle ira. Un roman sur l’amour et la dépendance affective, la socialisation des femmes à l’amour et toutes les injonctions contradictoires et aliénations qu’elle suppose.
Avant d’être romancière, tu es animatrice d’un podcast NRJ intitulé « Lalala », une sorte de courrier du cœur des auditeur.ices dans lesquels ils peuvent soumettre leurs problèmes de couple. Ton premier roman s’appelle Mon Mari. Qu’est-ce qui t’intéresse dans la thématique du couple ?
C’est une fascination que j’ai depuis que je suis toute petite. C’est difficile d’expliquer pourquoi un sujet nous passionne, mais à l’école primaire mon J’aime lire favori était déjà « La maîtresse est amoureuse », l’histoire d’une maîtresse qui perdait tous ses moyens à cause de l’amour. Tous mes livres préférés parlaient de ça, ça a toujours été le centre de mes discussions entre ami.e.s, je me suis toujours intéressée aux histoires d’amours d’amis d’amis que je n’ai parfois jamais rencontrés, j’aime les suivre, voir comment une histoire d’amour évolue… Cette fascination se répercute dans mes lectures, dans les films que je regarde, dans mon travail.
Dans Mon Mari, tu mets en scène un personnage assez ordinaire, une femme d’une quarantaine d’année, prof d’anglais, plutôt bourgeoise, mariée et mère de deux enfants. Ton texte livre ses pensées, sans filtre. Elles sont toutes dirigées vers son conjoint. Tu dirais que c’est un roman sur l’amour ou sur le conditionnement ?
Tout à la fois. Le couple, la vie conjugale, le conditionnement, ce qu’on nous a appris sur l’amour et qui nous construit en tant qu’amoureuse, l’imaginaire, le fait d’apprendre à être amoureux, la dimension psychique de l’amour, qui n’est pas seulement sociologique. Par exemple, j’ai lu un livre d’un chercheur qui expliquait ce qu’il se passe dans le cerveau quand on tombe amoureux et ce mécanisme psychique bloque notre cerveau rationnel, c’est physiologique.
Pourquoi avoir eu envie d’une héroïne qui souhaite cocher toutes les cases de la ménagère parfaite à une période où la littérature fait émerger des héroïnes qui refusent tous ces codes ?
Quand j’écrivais, je ne me suis pas du tout posé la question, je pense que c’est une coïncidence. J’ai commencé à écrire mon roman il y a quatre ans et à ce moment-là je ne pensais pas qu’en 2021 on s’intéresserait autant au couple hétérosexuel. J’étais moi-même malheureuse dans mon couple, j’ai écrit ce roman parce que j’en avais besoin et pour être honnête, je ne pensais pas être publiée. Alors je me dis que c’est une coïncidence, mais aussi forcément que c’est dans l’air du temps.
J’ai écouté Le cœur sur la table [ndlr. podcast Binge audio de Victoire Tuaillon], lu Réinventer l’amour [ndlr. dernier essai de Mona Chollet] et face à tout ça on se dit putain, quelque chose se passe et c’est tant mieux, parce que le mouvement féministe est en train de penser l’intime. Au début, les livres parlaient de l’espace public et petit à petit, grâce à Titiou Lecoq, on s’est recentrées sur l’espace domestique avec la charge mentale, puis émotionnelle, jusqu’à se demander comment vivre en couple hétérosexuel sans devenir zinzin.
Il y a quelque chose de très léger chez ton personnage, de presque caricatural, comme si nous étions dans un décor de comédie romantique. Ce tableau, très gai en apparence, se ternit au fur et à mesure des pages. Comment tu l’as imaginée, cette femme ?
Ça a été un long travail de construction. J’avais envie d’écrire un livre dont on tourne les pages, quelque chose de grand public, qu’on ne lâche pas. Pour ça, il me fallait forcément du suspens, des rebondissements, quelque chose de proche du thriller. À côté de ça, chaque étape du livre correspond à une construction, toutes les choses que l’on m’a apprises sur l’amour et sur cet état d’intranquillité permanent dans lequel on se trouve quand on est amoureux.se.
Elle rêve d’être la femme parfaite, de filer le parfait amour avec son mari. Mais ne rêve pas d’être mère. Ses deux enfants la dérangent, souvent. Pourquoi n’adhère-t-elle pas à cette dimension du rêve ?
Parce qu’elle rêve de manière très abstraite. Elle essaie de cocher toutes les cases mais se rend compte que la réalité ne correspond jamais à ce que l’on idéalise. Elle s’imaginait qu’en étant amoureuse, le temps allait s’arrêter, que ça allait régler ses problèmes. Là elle se retrouve avec des enfants dont il faut s’occuper, à qui il faut faire la conversation et elle se rend compte qu’elle déteste ça. La maternité, ça n’est pas quelque chose qui me fascine, mais je me suis demandé quel genre de mère on était quand on est folle amoureuse, quelle place faire pour quoi que ce soit d’autre.
Il y a quelque chose de très présent aussi, c’est le besoin qu’elle a d’être rassurée dans l’amour que lui porte son mari. C’est une dimension importante de la vie des femmes selon toi ?
Quand je l’ai écrit, je ne l’ai pas conceptualisé. Je voulais parler d’abord de cet état de passion amoureuse où l’on fait n’importe quoi. Mais c’est marrant, ça me fait penser à ce que m’a dit une libraire que j’ai rencontré à Lyon. Elle m’a expliqué que lorsqu’elle s’était mariée, elle avait peur que son mari aille voir ailleurs, mais savait qu’il ne la quitterait jamais. En cela, elle trouvait que mon livre était très moderne, parce que cette peur de l’abandon n’existait pas de la même façon avant.
Dans ce texte, ton personnage parle beaucoup de ses rêves : celui de vivre l’amour idéal, d’atteindre une forme de perfection. Ce qui est intéressant, c’est que ça ne l’empêche pas de relever avec minutie chacune des « fautes » commises par son mari, qu’elle punit à chaque fois. Le couple, c’est une lutte de pouvoir ?
Dans certains couples, oui. On peut même se demander s’il s’agit d’amour parce que justement, quand il y a de l’amour, il n’y a plus de rapport de force. L’amour, par essence, c’est une relation basée sur la confiance où tu baisses les armes. Dans ce couple-là, il y a un immense rapport de force – pas très éloigné de la réalité – que j’ai moi-même vécu. C’est un espèce de balancement continuel que vit mon personnage : donner un peu d’amour puis, dès qu’on a un peu donné, arrêter complètement, recommencer.
D’ailleurs, ton personnage précise à plusieurs reprises être d’une origine sociale inférieure à celle de son mari.
Pour moi l’origine sociale était un élément fondamental. Dans toutes les histoires, on parle de couple sans inclure cette dimension sociale alors que c’est quelque chose de fondamental. Par exemple, j’ai écouté le podcast Rends l’argent de Titiou Lecoq et je me suis aperçu que l’on parlait toujours d’amour comme si c’était décorrélé de la vie concrète. Mais quand ton mec gagne trois fois ton salaire, comment tu peux être vraiment son égale ?
Je voulais investir cette psychologie-là. Et puis, le fait d’être une transfuge de classe collait aussi avec la psychologie de mon personnage. Un transfuge sous-pèse chacun de ses gestes et analyse tout de peur de faire une erreur, il est constamment dans l’analyse de son environnement. Cette surconscience, cette intranquillité totale, c’est ce que je voulais faire émerger.
Il y a des autrices ou des auteurs qui t’ont inspirée pour ce livre ou qui t’ont donné envie d’écrire ?
Annie Ernaux, Annie Ernaux, Annie Ernaux… Passion Simple a été un chamboulement pour moi. Pour la première fois, je me suis dit « j’aurais aimé avoir écrit ce livre ». C’est la première fois qu’un livre parlait exclusivement du seul thème qui m’intéressait. Je me suis dit que c’était incroyable d’avoir le droit de faire ça, de parler d’amour et seulement d’amour pendant 110 pages. Elle dit seulement ce qu’elle a envie de dire et n’habille pas son intrigue parce qu’il faudrait le faire. Réaliser ça a été une véritable déflagration.
Et la dernière question… Qu’est-ce qu’on fait après un premier roman ?
On en écrit un deuxième ! La vie continue, je travaille. En fait, j’étais déjà en train d‘écrire le second parce que j’étais convaincue que mon premier manuscrit ne serait jamais publié. Il fallait que je finisse le premier pour pouvoir passer à autre chose et retenter. J’essaie toujours de me projeter dans l’étape d’après.
Mon Mari de Maud Ventura est paru aux éditions de L’Iconoclaste, 19 euros.