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Encre fraîche #11 – Clara Ysé, le feu en héritage

Clara Ysé
Clara Ysé, autrice de Mise à feu (Grasset, 2021) © Jean-François Paga

Encre fraîche est un format made in Maze qui tire le portrait d’une autrice ou d’un auteur francophone de moins de trente ans. Pour l’occasion, nous avons rencontré la chanteuse et romancière Clara Ysé, autrice de Mise à feu, paru cette rentrée aux éditions Grasset. 

On savait Clara Ysé chanteuse et musicienne, on la sait maintenant romancière. À seulement vingt-neuf ans, la fille de la philosophe Anne Dufourmantelle fait paraître Mise à feu chez Grasset. Dans ce roman d’initiation aux airs de conte fantastique, l’autrice raconte le quotidien tragique de Nine et Gaspard, deux frère et sœur privés de leur mère, L’Amazone, suite à l’incendie de leur maison. Les enfants sont recueillis par leur oncle, ogre terrible, maltraitant, alcoolique et sans visage qu’ils surnomment le Lord. 

Aux côtés de leur pie, Nouchka, qui veille sur eux et accompagne leurs tristesses avec son langage d’oiseau, qu’ils comprennent tous les deux, les deux enfants traverseront l’adolescence et les thèmes chers à l’œuvre de Clara Ysé, musicale comme littéraire. L’absence, le deuil, le retour à la vie. 

Tu es violoniste, guitariste, chanteuse et il y a deux ans tu as sorti ton premier EP, Le monde s’est dédoublé. Pourquoi as-tu choisi d’investir le langage littéraire  ? 

J’ai toujours eu un rapport particulier à l’écriture. Depuis que je suis petite, l’écriture et la musique sont mes deux langues. La seule différence, c’est que j’avais un rapport très intime à l’écriture là où la musique était partagée très vite. J’écrivais pas mal de poèmes, et j’ai eu envie de sortir ce livre. C’est quelque chose de très puissant de voir que ces personnages sont maintenant partagés avec tous. 

Ton roman adopte le point de vue de Nine, une très jeune fille confrontée avec son frère à la disparition de sa mère après un incendie. Pourquoi avoir choisi de voir le monde à travers les yeux d’une enfant  ? 

Ce qui m’intéressait quand j’ai commencé à écrire ce livre, c’est la relation fusionnelle entre un frère et une sœur, et comment les pactes d’imaginaire qui sont créés pendant l’enfance pour supporter un réel trop violent peuvent devenir enfermants s’ils ne sont pas ré-énoncés et transformés au passage à l’âge adulte. 

C’est tout l’objet de la double trajectoire de mes deux personnages, Gaspard et Nine, qui ne réagissent pas de la même manière face au drame. Nine, de par ses rencontres, l’amitié, l’amour et la musique, a suffisamment de cordes de rappel vers le réel qui lui rendent le futur désirable, tandis que son frère se fait avaler par l’univers imaginaire qu’il crée pour supporter sa peine. 

Tu utilises un lexique particulier pour parler de tes personnages  : la mère est L’Amazone, l’oncle terrible qui recueille les enfants est Le Lord et Gaspard, le frère, est un petit prince au cœur pur. Il y a aussi le personnage de Nouchka au cœur de ton histoire, la pie qui suit Nine et Gaspard partout où ils vont. À certains égards, on peut considérer que Mise à feu a des airs de conte fantastique. C’était une volonté de ta part de jouer avec les genres  ? 

Oui. Ce qui m’intéressait, c’était d’aller piocher dans différents genres et notamment dans le réalisme magique sud-américain. Ce qui m’intéressait là-dedans c’était de faire sentir le regard de l’enfance tout en proposant une lecture très réaliste dont on découvre la clé à la fin du livre. Mais il y a aussi la lecture de Nine, puisque cette histoire se vit à travers ses yeux à elle. Avec son frère, ils réorganisent les signes pour composer un monde dans lequel ils peuvent vivre. En cela, on flirte avec le magico-réalisme. 

Tu as un rapport très étroit avec l’Amérique du Sud, qui se retrouve dans ta littérature et dans ta musique. D’où te viennent ces influences  ? 

J’ai été élevée en partie par une femme colombienne. J’ai beaucoup voyagé en Colombie et au Mexique où j’ai découvert une musique qui m’a énormément émue et inspirée. Là-bas, il y a un rapport au drame heureux. Le rapport à l’émotion est très puissant, sans recul, on s’y plonge totalement. Il y a tout un pan de musique populaire au Mexique qui aborde les thèmes de l’amour, de la mort. Tous ces grands sujets sont traités sans aucun filet, sans ironie. Je trouve ça très émouvant. 

Il y aussi ce rapport au réalisme magique, dont je viens de te parler, qui m’a toujours inspirée. Il y a quelque chose d’émouvant dans leur manière de définir la magie. Ça n’est pas quelque chose d’ésotérique comme en Occident. Il s’agit plutôt de considérer le potentiel performatif de l’imaginaire, la manière dont, à force de désirer, appeler les choses, elles finissent par arriver. C’est un rapport à l’existence que je trouve très fort. 

Cette histoire fait écho à la tienne, puisque tu as perdu ta mère, toi aussi, il y a quelques années. Est-ce que parler du deuil tout en mettant à distance le réel, par le biais du fantastique comme tu le fais, ou par la poésie, c’est un moyen de le dépasser  ? 

J’étais moins intéressée par le rapport au deuil que par la sublimation. Le livre est construit autour de l’absence et du manque. Gaspard et Nine perdent tout avec l’incendie, se mettent à vivre avec un homme violent dans un appartement qu’ils ne connaissent pas. La question est  : vis-à-vis de ce manque, que fait-on  ? Quelles sont nos armes faces à l’absence  ? C’était une manière de se demander comment la vie l’emporte. Du coup, je dirais que c’est plutôt un livre qui parle de reconstruction et de recherche par l’imaginaire de voies de sortie. 

Ton œuvre musicale aborde aussi beaucoup les thèmes de l’absence, du deuil, mais surtout d’un nécessaire retour à la vie. L’art, c’est ce qui nous aide à vivre  ? 

Pour moi, personnellement, oui. C’est aussi le trajet de Nine. Ce qui la sauve, c’est les amitiés, les musiques et l’amour. C’est au moment où elle tombe amoureuse qu’elle arrête de comprendre le langage de l’oiseau Nouchka, mais aussi que le réel redevient désirable pour elle. Il y avait cette idée de retrouver une meute d’amis, d’alliés, pour inventer un monde dans lequel on a envie de vivre. De se demander comment on le réenchante. 

Il y a un autre motif très récurrent dans ton œuvre – littéraire comme musicale – c’est celui du feu. De quoi est-ce le symbole  ? 

Dans ce titre, Mise à feu, il y a plein de choses. Une mise à feu évoque un décompte, un rapport au rythme et une tension. Il y a aussi le fait que la mise à feu est l’inverse d’une mise en terre. Qu’il s’agit de quelque chose de brutal et violent mais qui permet une régénérescence. Ça renvoie pour moi à la figure du phœnix, à la destruction puis à la régénération, comme les deux faces d’une même médaille. 

D’ailleurs, c’est fou mais le jour de la sortie de Mise à feu en librairie, j’étais chez une amie dans le Sud de la France, dans une région où il n’y a jamais eu d’incendie. Et le champ en face de chez mon amie s’est mis à brûler. Tout s’est bien passé, l’incendie a été éteint. Mais ça m’a ramené au pouvoir des mots en lequel je crois très fort. Une fois que l’on énonce les choses, elles ont un pouvoir très concret. Il y a cette phrase de Lacan qui dit : faites attention à vos désirs, ils arrivent. 

Quels sont tes futurs projets  ? Littérature ou musique  ? Tu n’es pas obligée de choisir. 

Les deux. Pour moi, c’est très lié. Ça a toujours été très lié, d’ailleurs. Je pense que je ne composerais pas et je n’écrirais pas de la même manière si ces deux arts n’allaient pas ensemble. Si je n’étais pas musicienne, je ne sais pas si j’aurais écrit ce roman. 

Sinon, en ce moment je donne des concerts, et mon premier album va sortir au printemps prochain. 

Clara Ysé sera présente au festival de Marne le 9 octobre, au Théâtre de Saint-Maur (Saint-Maur-des-Fossés) où elle partagera la scène avec Stéphane Eicher. Réservations sur le site du festival. Mise à feu est paru le 18 août chez Grasset, 18€.

Journaliste

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