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Au théâtre des Bouffes du Nord, on exhume avec malice les « Beaux jours » de Beckett

"Oh les beaux jours !" © Pascal Gelly
"Oh les beaux jours !" © Pascal Gelly

Dans la grande salle du théâtre parisien, les comédiens Kathryn Hunter et Marcello Magni s’allient pour proposer une lecture d’une des dernières œuvres théâtrales de Samuel Beckett, entre mélancolie et absurdité.

«  Elle était blonde et un peu grassouillette  » lit à voix haute Marcello Magni. Le texte qu’il a entre les mains, c’est la fameuse pièce de Samuel Beckett, Oh les beaux jours !, une des dernières, qui raconte avec humour la vieillesse et ses absurdités. Devant lui, affalée sur une table en bois, sa femme dans la pièce, Kathryn Hunter est brune et maigre. Rires dans la salle.  

Le texte de la pièce toujours à la main, les comédiens interprètent Beckett en faisant la part belle à la mélancolie et au désarroi de l’auteur face à la vieillesse. «  Oh le beau jour !  » s’exclame Winnie (Kathryn Hunter) en se réveillant, après que son mari l’ait sifflée à la manière d’une alarme. Elle s’exclame, fait preuve d’entrain en se brossant les dents. Elle rappelle à son comparse de bien appliquer la pommade qu’il doit se mettre chaque jour sur les fesses. Il s’exécute avec le même entrain, un brin d’ironie dans le regard. On comprend dans la salle. La vieillesse est un naufrage et en plus on devrait s’en réjouir.

La vieillesse est un naufrage

Entre chaque réplique de Winnie, son homme, quasi dépourvu de dialogues mais omniprésent, s’exclame : «  Un temps.  » Un temps qui passe, des temps entre lesquels se déroulent chaque action, se déposent chaque mot et chaque geste. Tout comme une petite mort, répétée à l’infini pendant une heure et demie.

Parfois, « un temps » devient « un temps long ». Winnie s’interrompt un moment, reprend le dialogue avec ce vieil homme qui ne répond que par la même réplique, inlassable dans son entrain. Ensemble, ils se remémorent leur jeunesse, l’époque lointaine où il était un bon amant. « Un temps.  »

La mort se rapproche et chaque nouveau temps dans le dialogue est l’assurance de se rapprocher un peu de la mort. Ils se rapprochent ensemble, dans une dernière péripétie absurde illustrée par une mise en scène tout aussi absurde qui fait sourire.

Le mari se mouche dans un torchon avant de le poser sur sa tête et de le recouvrir par un chapeau. On sourit dans la salle. Mais le joyeux duo change de ton tout à coup et arbore un regard vide, c’est la vie qui les quitte peu à peu. Dans la salle, plus aucun sourire, on a envie de pleurer avec eux. Si Beckett était encore-là, il se lèverait probablement pour le dire : la vieillesse est un naufrage. 

Oh les Beaux Jours de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, interprété par Kathryn Hunter et Marcello Magni était au théâtre des Bouffes du Nord. 

Journaliste

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