CINÉMA

« Une Histoire d’amour et de désir » – Initiation masculine

Une histoire d'amour et de désir
Ahmed (Sami Outalbali) et Farah (Zbeida Belhajamor) dans Une histoire d'amour et de désir © Pyramide distribution

Deux étudiants en lettres à la Sorbonne, Ahmed et Farah, découvrent dans le même mouvement la littérature érotique arabe et leur sexualité. La réalisatrice Leyla Bouzid signe avec Une Histoire d’amour et de désir un film lumineux sur l’initiation des adolescents à l’amour. 

Seulement quelques kilomètres à vol d’oiseau séparent sa banlieue de la capitale, pourtant Paris reste un univers lointain et éloigné du sien. C’est ce qu’on se dit quand Ahmed (Sami Outalbali), fils d’immigrés algériens, met pour la première fois les pieds dans l’enceinte de la Sorbonne – université réputée dans le monde entier – pour étudier la littérature. Le vigile chargé de contrôler les entrées d’étudiants lui demande sa carte. Il la lui tend avant d’écarter les bras. Le jeune homme s’attend à une fouille de police. « Non, c’est bon », rétorque le gardien.

La collision de deux mondes est amorcée avec l’entrée en terres parisiennes et entérinée par la rencontre de Farah (Zbeida Belhajamor). Fraîchement débarquée à Paris pour les études, elle est originaire de Tunis. Farah parle fort en arabe dans les couloirs, a le regard ravageur et des cheveux qui ondulent dans son dos. En classe, ils découvrent les textes érotiques arabes, leur sensualité et leur poésie, ces sensations vieilles comme le monde – plus d’un millénaire parfois – et pourtant vécues encore aujourd’hui. Avec Farah, Ahmed fait la découverte de l’amour. Et du désir. 

Redéfinir l’érotisme

La force du scénario de Leyla Bouzid réside dans sa mise en scène de «  l’amour et du désir  ». La sensualité est partout  : dans les textes, dans les mots, dans les corps, sur les visages. Pourtant, il n’est jamais question de sexe. L’érotisme commence ici. Chacun des deux personnages entretient un rapport différent avec cette littérature arabe. Elle a souvent été oubliée au profit d’une interprétation de l’islam qui jette l’opprobre sur les pratiques sexuelles hors mariage. 

Farah, que l’on devine originaire d’un univers proche de celui de Paris – branché et progressiste – est à l’aise avec cette vision du monde. Pour Ahmed, les choses sont moins simples. Dans le quartier où il vit, le sexe est sale. Il est sale surtout pour les filles, incitées à conserver leur virginité jusqu’au mariage. Comment se réconcilier avec un pan de sa culture que tout le monde semble avoir oublié  ?

Combler un vide

Le parallèle entre la littérature arabe et la découverte de l’amour et de la sexualité par ces deux adolescents est intelligente. Mais plus encore, Une histoire d’amour et de désir, en racontant l’histoire du point de vue d’Ahmed, pose un regard neuf sur un récit d’initiation sexuelle que l’on est habitué à voir narré par les femmes. 

Leyla Bouzid comble un vide  : celui des histoires de jeunes hommes qui découvrent l’amour pour la première fois. Et semble répondre à ce silence, Non, ça n’est pas une chose évidente. Non, la première fois des hommes n’est pas un non-événement, une évidence, quelque chose qui se passe sans accroc. Comme celle des femmes, elle est difficile, angoissante, peut-être même douloureuse parfois. Comme les filles, les garçons doutent et craignent de ne pas être à la hauteur. Il n’y a pas de sexe fort. Et il était grand temps que des récits viennent réhabiliter cette forme de masculinité, invisible, qui est pourtant une évidence. 

Journaliste

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