En cette dixième édition du festival : Séries mania fait place aux femmes. À l’écran ou derrière la caméra, venues de tous horizons, elles proposent de poser un nouveau regard sur la diversité des expériences féminines. Retour sur ces séries dont les protagonistes sont également les scénaristes.
De la série australienne The Unusual Suspects à la série norvégienne Pørni en passant par Starstruck et We are Lady Parts, les femmes tiennent le premier rôle au Festival Séries mania 2021. Représentées dans toute leur diversité, elles sont tantôt quarantenaires, tantôt jeunes et célibataires, croyantes ou athées, mères ou refusant au contraire de le devenir.
Parmi ces séries, de tous genres et de toutes nationalités confondues émergents celles pour lesquelles des scénaristes ont fait le choix de se mettre en scène, par elle-même.
La mise en scène de soi
La pratique n’est pas nouvelle et déjà en 2016, la série Fleabag avait fait une entrée fracassante sur nos écrans, acquérant dès sa sortie un statut de série culte – à raison – pour bon nombre de spectateur.ice.s. Phoebe Waller-Bridge comme Lucille Ball en son temps, révolutionne alors la représentation des femmes à l’écran, proposant un nouveau regard sur l’expérience féminine, la sexualité, l’amour et globalement le quotidien d’une femme à la vie somme toute, assez banale. Par sa modernité, son cynisme hilarant et sa capacité à émouvoir Fleabag devient sous les yeux des spectateurs un être de chair dont on ressent l’expérience sans réellement s’identifier à son personnage antihéroïque.
D’autres acteurs de stand-up avant elle s’étaient mis en scène dans des séries humoristiques et parmi eux l’américain Louie C.K (désormais très controversé depuis l’émergence d’un #Metoo à son sujet). Mais depuis lors c’est en Grande-Bretagne que les nouveaux chefs-d’œuvre du genre se développent et laissent la part belle aux actrices de stand-up. Le goût des Britanniques semble se confirmer pour ces types de mise en scène intimistes et Séries mania nous en fait découvrir deux, à savoir Starstruck et This Way Up.
Starstruck, rom-com inclusive
Avec Starstruck et This way up, les Britanniques montrent encore une fois qu’en matière de séries, ils auront toujours une longueur d’avance. L’une est une rom-com classique mais très efficace diffusée sur BBC3[1], l’autre une comédie dramatique Channel4 dont la protagoniste aurait probablement pu être la meilleure amie de la susmentionnée Fleabag. Toutes deux ont pour point commun de mettre en scène des protagonistes féminines réalistes, attachantes et hilarantes écrites et incarnées par des actrices de stand-up.
Avec Starstruck, la Néo-zélandaise Rose Matafeo propose un Notting hill 2.0, qui inverse les rôles et ne se prend pas au sérieux. Cette rom-com met en scène le personnage de Jessie, jeune expatriée néo-zélandaise à Londres qui vit de deux jobs, celui de babysitter et de vendeuse à la billetterie d’un cinéma de quartier. Une vie qui lui convient tout à fait et dans laquelle elle s’épanouit totalement. Mais tout bascule le jour de l’an, lorsqu’elle s’engage dans une relation d’un soir avec un certain Tom. Ce dernier, banal en apparence est en réalité une vedette de cinéma.
Doté d’un découpage dans lequel un épisode correspond à une saison météorologique, Starstruck reste assez classique dans sa structure. Cette série n’en reste pas moins une comédie tout à fait réussie. L’humour et la romance sont dosés au millimètre près et les dialogues qui s’enchaînent à un rythme effréné sont excellents. Une grande sincérité se dégage de cette série rafraîchissante qui brise des tabous autour de la sexualité féminine, évoque subtilement le consentement et propose un casting inclusif.
C’est d’ailleurs sur ce dernier point que la scénariste et actrice Rose Matafeo semble miser tous ses espoirs en la rom-com, comme elle l’a affirmé lors d’une interview accordée à Vulture :
« Je pense que les histoires d’amour ou les comédies romantiques ont toujours été des genres profondément blancs et hétéro normatif tout au long des années 80, 90 et 2000. Je pense que les gens découvrent juste que des personnes autres que deux personnes blanches – un homme blanc et une femme blanche – tombent aussi amoureuses. Maintenant, on peut voir des séries qui reflètent plus largement des groupes de personnes de sexualités, de race, de genre, sous-représentés […] je pense que c’est tout simplement excitant. Et c’est excitant de voir ces choses faites par ces gens eux-mêmes aussi. […] Les gens qui écrivent et dirigent et créent ce contenu eux-mêmes plutôt que de voir des rôles écrits par d’autres pour eux, c’est la prochaine grande étape. J’espère qu’une nouvelle forme de comédie romantique, beaucoup plus inclusive verra le jour et permettra une renaissance du genre ! »
Interview de Rose Matafeo accordée à Vulture
This Way Up, cheers me up
De son côté This Way Up s’éloigne de la screwball comedy dont se rapprochait Starstruck et se définit plus comme une comédie dramatique. Comme Phoebe Waller-Bridge avant elle, Aisling Bea, actrice de stand-up irlandaise explore avec beaucoup d’empathie et de bienveillance les maladies mentales.
This Way Up raconte l’histoire d’Aine, jeune professeure d’anglais qui essaye de se reconstruire suite à une grave dépression l’ayant menée à séjourner à l’hôpital pendant un temps.
Malgré le sujet que la série aborde, elle sait conserver un ton relativement léger. Elle oscille entre comédie et drame avec brio et ne tombe jamais pour autant dans le pathos. Chaque situation profondément dramatique est immédiatement déminée par l’humour cinglant de la protagoniste, Aine. Cette dernière se cache bien souvent derrière l’humour, justement, pour cacher une vie moins simple qu’il n’y paraît à son entourage, pas toujours au fait des problèmes de santé qu’elle rencontre.
Évoquant la vie d’adulte, la sexualité féminine, les femmes et la société patriarcale dans lesquelles elles se voient obligées d’évoluer, This Way Up est une série résolument féministe sur le fond sans pour autant l’être sur la forme. A travers le personnage de Shona, la grande sœur d’Aine à qui tout pourrait paraître sourire en apparence, Aisling Bea propose deux expériences féminines en une. Le duo de sœurs fonctionne à merveille, entre taquineries gentillettes, sororité et réel soutien moral. Parfait dosage d’humour et de situations dramatiques qui devraient nous faire pleurer plus que rire, This Way Up n’a rien à envier à Fleabag dont elle s’inscrit dans la digne lignée.
Aisling Bea possède un talent d’écriture indéniable et possède la capacité d’être toujours sur le fil entre l’humour et le drame. À la différence de Starstruck, ce n’est pas la romance qui est centrale dans This Way Up mais bien la sororité. Une autre forme de romance pour l’humoriste et comédienne qui confie lors d’une interview Canal plus :
« Techniquement, c’est une comédie sur la solitude, mais cela n’est pas très vendeur. La romance au cœur de la série, c’est la relation entre deux sœurs. Ce que je voulais faire, c’est une série, non pas sur quelqu’un qui s’effondre, mais sur un personnage déjà abattu qui remonte la pente, avance sur le chemin de la guérison. »
Interview d’Aisling Bea et Sharon Horgan accordée à Canal plus
Des artistes absolues
Se mettant en scène en tant que femmes dans des séries dont elles sont les protagonistes, Rose Matafeo et Aisling Bae prouve qu’il est possible de montrer des femmes à l’écran dans toute leur banalité. Des femmes réalistes, qui offrent en partage avec les spectateur.ice.s leur regard sur le monde et sur l’expérience féminine aussi bien physiologiquement que socialement. Leur regard donne une subjectivité aux personnages féminins qui deviennent le relais du regard des spectateur.ice.s, : une nouvelle paire de lunettes pour découvrir le monde sous un angle différent.
La comédie est dès lors un véritable outil pour aborder des sujets sensibles, parfois tabous, au sujet des femmes sous une forme divertissante. La sérialité apparaît comme un terrain privilégié pour mettre en scène les différents aspects de l’expérience féminine. Les scénaristes distillent d’épisodes en épisodes les diverses spécificités de la vie des femmes avec beaucoup d’autodérision. Devenues artistes absolues, ces femmes sont de véritables artisans du petit écran et espérons que dans les années à venir, elles continuent d’inspirer d’autres créatrices de talent.
[1] Selon BBC3 elle-même, la chaîne serait en passe de devenir la première chaîne britannique à avoir la plupart de ses comédies jouées, écrites ou créées par des femmes cette année, avec 58 % des comédies long format scénarisées par des femmes.