Lola est l’évolution postmoderne du mélodrame classique. Il en reprend la recette : les effets de pathos scénaristiques, les rebondissements inespérés, l’amour impossible. Néanmoins Lola bénéficie d’une mise en scène qui explore les poncifs différemment. À voir sur Ciné + le 24 septembre prochain à 20h 50.
Lola rapporte l’idylle du personnage éponyme (Barbara Sukowa), prostituée chantant dans un cabaret et Von Bohm (Armin Mueller-Stahl) dignitaire droit et incorruptible fraîchement arrivé dans la ville de Cobourg. Lola est le deuxième volet de la trilogie allemande. Fassbinder dépeint un monde de complète compromission où tout les notables, décrits comme des « Saccard », voient l’or dans la construction et la spéculation immobilière.
Forme et Distanciation
D’abord Lola est un parfait exemple du style fassbinderien. Le métrage porte toujours les stigmates d’une forte influence du théâtre de Brecht. En fait, toute sa conception artistique repose sur la Distanciation brechtienne. Pour résumer, le spectateur doit percevoir les objets, les personnages, comme étranges et dissonants afin qu’il s’éloigne par lui même de la tromperie scénographique. Le concept se rapproche de l’absurdité du monde expérimenté par Roquentin dans la Nausée de Jean Paul Sartre. Lorsque que Xaver Schwarzenberger éclaire à plusieurs reprises les yeux de Von Bohm, le kitsch du procédé ressemble aux excentricité des expositions des Larmes amère de Petra von Kant dix ans auparavant.
Lola est le fruit d’une décennie de perfectionnement stylistique. L’ambiance feutrée de l’appartement de Margit Carstensen est comparable au cabaret de Barbara Sukowa. Mais Fassbinder va plus loin dans la couleur des costumes et les atours pailletés. Le Monde sur le fil a permis au cinéaste allemande d’expérimenter une plus grande volatilité dans ses prises de vues. Cependant une telle déclaration de style ne lui convient pas. Il a fini par adopter plus de sobriété par la suite tout en gardant une réalisation dynamique. Ces tentatives illustrent la progression de Fassbinder vers ses films tardifs.
Opéra rutilant
L’évolution vers une telle manifestation peut être interprétée vis-à-vis du genre auquel Lola se rattache : le mélodrame. Pourtant lié depuis le début à l’histoire du cinéma, le mélodrame souffre aujourd’hui d’une mauvaise réputation alors qu’il possède un versant à la fois auteur et populaire. D’abord les mélodrames sont assez austères dans les années 1930 à l’image des films de John M. Stahl. Ce sont en général des grosses productions qui s’offrent les vedettes les plus en vue. Ensuite apparait la révolution : le mélodrame flamboyant. Vivien Leigh, Gary Cooper et Olivia de Havilland participent au grand chef-d’œuvre du début du code Hays. L’irruption du technicolor trichrome dans le genre a marqué tout une génération de cinéaste.
Lola respecte beaucoup cette tradition du mélodrame lyrique initialement représenté par Elia Kazan ou Douglas Sirk. On peut noter qu’il existe un autre courant du mélodrame qui s’inspire plus d’artistes comme William Wellman en utilisant le genre pour le panacher. En effet, Lawrence d’Arabie de David Lean ou Les Plus belles années de notre vie de William Wyler sont aussi des films de guerre, d’aventure etc. Ces divergences restent malgré tout des nuances et le genre s’auto-cite de manière pléthorique. De nombreux remakes se réalisent en perpétrant le savoir-faire. Douglas Sirk a repris Le Secret magnifique de Stahl. À l’échelle d’une séquence, l’ouverture de Carol de Todd Haynes est une très belle interprétation de l’incipit de Brève rencontre de David Lean. L’importance des remakes souligne l’intrication des studios dans le genre mais aussi la cinéphilie de ses auteurs.
Fassbinder possédait une culture cinématographique considérable. Il a réalisé Tout le monde s’appelle Ali qui reprend la trame de Tout ce que le ciel permet de Sirk. Lola est une adaptation libre de L’Ange Bleu de Joseph von Sternbeg. La plus belle scène de tout le métrage est un référence directe. Lola se produit dans son cabaret lorsqu’elle aperçoit Von Bohm qui ignorait ses moyens d’existence. Brusque zoom, changement de lumière, la valeur de cadre passe du plan américain au plan poitrine. Lola est obligée de poursuivre son spectacle, puis s’adonnee corps et âmes à son strip tease au départ de son amant. Cette dévotion dans la performance contraste avec la tristesse et la surprise jouée par Barbara Sukowa. Difficile de ne pas faire le lien avec Gilda quand Rita Hayworth est érigée en sex symbol lorsqu’elle retire un gant sur Put the mame on me.
Scénographie suggestive
Dans Gilda, Charles Vidor choisi de filmer sa vedette en plan séquence sans bouger la caméra de son pied. Le point de vue correspond à celui d’une personne dans l’assistance, il ne fait que panoter sans changer de valeur de plan. Le cadre change seulement lorsque Rita Hayworth balance ses cheveux en arrière. La mise en scène est très sobre, comme un classique des années quarante. Chez Fassbinder, le plan séquence survient après le plan rapproché fixe contrairement à Vidor. L’empathie provoquée par le portrait permet de faire résonner la suite de la scène. De plus, Fassbinder choisi certes de n’utiliser que des panoramiques mais le pied de caméra est excentré entre l’assistance et la scène. Le plan large contient à la fois la prestation déchaînée presque mélancolique de Barbara Sukowa et les réaction de son assistance.
Pour aller plus loin, lorsque Antoine Olivier Pilon, chante au karaoké dans Mommy, Xavier Dolan propose une autre manière de distiller la solitude à l’écran. Le ratio 1:1 est utilisé pour cadrer essentiellement le visage à la manière de Bergman. L’isolement et le malaise est imprimé sur le spectateur pour qu’il le fasse rejaillir sur sa propre interprétation de la séquence. Alors, Dolan est beaucoup plus directif dans ses intensions par l’utilisation de champs contre champs séparant le protagoniste de son public. Fassbinder préfère la suggestion pour que le spectateur se réveille par lui-même selon la doctrine scénographique de Brecht.
Une tragédie germanique
Enfin, Lola reprise le grand thème de son auteur : la faute allemande et sa réparation. Plus encore qu’en Italie, le problème du totalitarisme a accaparé la plupart des intellectuels allemands. Fassbinder étant né à la fin de la Seconde Guerre mondiale, son obsession pour la montée du nazisme dans les années 1930 correspond à celle de ses contemporains. Il s’attaque aux origines du mal dans Lili Marleen, les interrogations de la jeunesse dans La roulette chinoise. Berlin Alexander Platz prends place dans la république de Weimar, le régime qui a vu naître le parti nazi. Les deux premiers volets de la trilogie allemande montrent plus les conséquences d’après guerre.
Hanna Schygulla dans Le Mariage de Maria Braun est une allégorie de l’équilibre fragile après la capitulation. Elle se balance entre la puissance du soft power états-unien et le rêve d’une Allemagne fantasmée. Cette apparition éthérée disparait sur le fond sonore d’un match de football de l’équipe d’Allemagne de l’Ouest. L’écosystème de Lola montre une fange caricaturale composée de profiteurs de guerre. Par ailleurs, l’opulence rappelle les diners de Schygulla à la table de l’industriel français. Au contraire, Sukowa cède à la conciliation. Le miracle économique est brossé comme une machine à corruption. Schukert (Mario Adorf) , l’entrepreneur, finit par obtenir ce qu’il entend tout en maintenant l’illusion d’une fin heureuse pour Von Bohm. Fassbinder allie sa chère Distanciation, sa connaissance du mélodrame pour obtenir une certaine ironie sur ces personnages et son histoire.
Pour finir, Fassbinder est un cinéaste de la référence. Lola, une femme allemande est un concentré de toute la pensée et l’érudition de l’allemand. Le film est un clin d’œil cinéphile mais aussi une main tendue vers un spectateur non initié.
Ciné + diffuse Lola, une femme allemande le 24/09 à 20h50