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Rencontre avec Sami Outalbali : « C’était intéressant d’incarner un garçon tiraillé par le doute »

Sami Outalbali
© Festival Francophone d'Angoulême / Christophe Brachet

Une Histoire d’amour et de désir, c’est l’histoire d’Ahmed, un garçon de banlieue qui part étudier les lettres à la Sorbonne et fait la rencontre de Farah, étudiante comme lui, débarquée tout droite de Tunisie. Rencontre avec Sami Outalbali, l’interprète d’Ahmed. 

Si tu devais décrire Ahmed, comment le présenterais-tu  ? 

Je dirais que c’est quelqu’un de complexe, tiraillé entre plusieurs choses et notamment par un plafond de verre inexistant qu’il se figure malgré tout. Il est très sensible et a beaucoup d’opinions, d’avis qui sont préconçus qui ne l’aident pas à vivre. Heureusement, il sait malgré tout écouter son corps et ses sentiments.

Dans ce film, il est représenté comme un garçon à la frontière entre deux mondes. La banlieue d’une part avec ses traditions et les amis du quartier et le monde de la fac. Comment fait-on apparaître une telle déchirure à l’écran  ? 

J’ai essayé de rester proche de ses sentiments. Quand Ahmed parle de lui, on comprend vite ce qu’il traverse, qu’il a beaucoup de doutes, d’incertitudes, de craintes. On imagine aussi le poids qu’occupent toutes ces choses dans son cerveau. Par exemple, à plusieurs moments dans le film il sera dans le rejet de Farah, alors même qu’il est profondément attiré par elle. Cette réaction de rejet-là était assez intéressante à travailler. 

© Pyramide Distribution

Est-ce que le film avait cette volonté de dénoncer cette violence symbolique qui traverse Ahmed  ? 

J’ai eu l’impression, moi, que cette violence était surtout intérieure. On le voit, Ahmed est constamment dans l’autocensure. Avec ce film, Leyla Bouzid voulait monter une autre forme de masculinité, que l’on n’a pas l’habitude de voir à l’écran, que l’on n’a pas l’habitude de montrer. Une masculinité qui doute, qui est sensible et qui ne sait pas toujours comment gérer ses désirs. 

Ahmed pense faire ce qu’on attend de lui sans savoir ce qu’on attend de lui. Tout l’enjeu sera de dépasser ce plafond de verre. Lorsqu’il ne le fait pas, il donne raison aux personnes qui veulent son échec – même si en réalité personne ne lui dit une telle chose.

Ahmed a une vision de l’amour qui va évoluer à la rencontre de Farah. Qu’est-ce qu’elle symbolise, selon toi, cette rencontre  ? 

C’est aussi une rencontre avec les préjugés qu’il avait, souvent basés sur des choses qu’il ne connaît pas. Ahmed suppute beaucoup de choses sans ne les avoir jamais vues ni expérimentées. Il n’a jamais su non plus mettre de mots sur les sentiments qui le traversent et c’est la première fois qu’il ressent cela, le fait d’être attiré par quelqu’un qui est notre opposé à un certain moment de notre vie. Farah représente cet «  autre  ». 

Cette histoire d’amour et de désir est guidée par la découverte de textes de la littérature érotique arabe, parfois vieux de plus d’un millénaire. Ahmed les découvre à la fac et réalise qu’il ne connaît pas la culture de ses ancêtres algériens. Toi, tu es d’origine marocaine. Est-ce que tu connaissais ces textes, ces auteurs  ?

C’est vrai qu’ils font partie de ma culture, mais je ne les connaissais pas. Après, j’ai une mère qui m’a fait découvrir tout un pan de la culture arabe par le biais du suffisme, où il est beaucoup question d’érotisme. Donc ces textes-là n’étaient pas une nouveauté pour moi. Quand on y pense, les Mille et une Nuits, c’est très érotique comme texte  ! Il y est question de harem, par exemple.

© Pyramide Distribution

Le film est aussi un récit d’initiation, c’est-à-dire qu’il met en scène beaucoup de premières fois. Pourquoi est-ce qu’elles sont douloureuses, ces premières fois  ?

Je pense que c’est douloureux pour Ahmed parce qu’il est témoin des désirs de plein d’autres personnes, sans pouvoir nommer son désir à lui. Ses amis, Saïdou et Karim trouvent l’amour, sont expressifs, Ahmed lui ne parvient pas à mettre de mots là-dessus.

C’est assez rare de voir des récits initiatiques, surtout en matière de sexualité, racontés du point de vue des garçons. C’était important de parler de ce que vivent les hommes  ? De ne pas considérer, peut-être, que le premier rapport sexuel est pour eux une évidence  ? 

C’est assez rare à l’écran et pourtant il s’agit d’une vraie forme de masculinité. Elle est nouvelle parce qu’on ne la montrait pas avant, mais elle est là. Je pense même qu’elle est à depuis toujours, et c’est ce qui fait que c’est intéressant de la montrer. Elle donne de la voix à des visions du monde qui ont toujours été présentes, qui ont toujours existé et pourtant, on a l’impression de découvrir quelque chose de nouveau. 

Tu joues dans des films et des séries depuis que tu es très jeune. Comment est-ce que tu sélectionnes tes projets  ? 

Je regarde ce que j’ai envie de raconter. La lecture du scénario, c’est très important. Si j’ai envie de faire le film, je peux lire le scénario en une nuit. Si je mets du temps à le lire, au contraire, ça veut dire que le film ne m’intéresse pas. 

Tu as reçu le Valois du meilleur acteur au festival d’Angoulême pour ce film il y a quelques jours. Qu’est-ce qu’elle va te permettre, cette récompense  ? 

La reconnaissance de mon travail, d’abord. Ensuite, ça m’a rendu très heureux évidemment. Même si je sais qu’il faut que je travaille encore. 

Quels sont tes projets pour la suite  ? 

Je vais jouer dans le prochain film de Cédric Jimenez et j’apparaîtrais dans la prochaine saison de Sex Education, qui sortira sur Netflix à partir du 17 septembre. 

Journaliste

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