LITTÉRATURE

« L’invention de Louvette » — L’insoutenable légèreté de l’enfance salvadorienne

L'invention de louvette
© Verticales, Gallimard

Gabriela Trujillo se remémore les charmes et les peurs de l’enfance dans un pays en guerre, et offre un roman initiatique dénué d’originalité malgré l’exotisme ambiant et la singularité du contexte politique.

L’invention de Louvette, premier roman à l’allure autobiographique, commence par un diagnostic gravement poétique : L. souffre d’une blessure de soleil sur la rétine. Une fois la maladie connue, nommée, que le mal s’éclaire, c’est la mémoire qui resurgit par lambeaux, qui submerge l’amnésie de toute une enfance. L’annonce du récit à venir se clôt par ces quelques mots :

«  Longtemps, L. a été une femme sans passé. Et voilà que maintenant, elle se souvient de Louvette : soudain, il fait un temps de petite fille.  »

L’invention de Louvette, Gabriela Trujillo

Place donc au récit d’une enfance, d’une invention, à en croire le titre de l’ouvrage. Celle de Louvette, future L., qui nait un jour de grand séisme. Tremblement de terre dont elle gardera les traces, comme en témoigne son tempérament hyperactif.

Une enfance qui se veut merveilleuse

Louvette, comme tous les enfants, s’invente des vies, découvre le monde au travers des passions éphémères. Ainsi, elle voudra devenir tour à tour astronaute, sainte puis ballerine. Elle s’émerveillera de l’école, du pouvoir du langage, particulièrement du français.

«  C’est à l’école que Louvette découvre aussi, ébahie, la nouvelle langue. Le français qu’elle entend est une langue d’oasis – moelleuse, accueillante. Une langue moulée sur le déhanchement des fauves. Les premiers jours se passent dans un babil merveilleux et irréfléchi : elle navigue à vue.  » 

L’invention de Louvette, Gabriela Trujillo

Par la suite, elle remportera un concours de poésie, embrassera pour la première fois un garçon, tombera amoureuse d’un ado plus âgé passionné de Nietzsche, fera partie des Amazones, un groupe de copines ayant pour devise de devenir « minces et légères comme des plumes ». Puis elle vivra sa première cuite, les soirées parsemées de poudre. Néanmoins, et la narratrice semble vouloir à tout prix nous le faire comprendre, c’est lire au chaud chez elle que Louvette apprécie par-dessus tout.

Autrement dit, le portrait esquissé est celui d’une fille comme les autres…mais pas tout à fait. Elle est à la fois la première de classe, mais elle adore faire fête, ce qui la passionne ce sont les livres (elle délaisse García Márquez pour Cortázar) comme souvent lorsqu’un auteur retrace sa jeunesse. Malgré la poésie indéniable de certains passages, souvent ceux qui magnifient la singularité de la faune et la flore tropicale, rien de très nouveau dans cette « invention ».

Dans un pays en guerre

Le pays dans lequel grandit Louvette, et qui donne un vernis particulier à son enfance, est un pays en guerre. Il s’agit du Salvador, nom soigneusement absent du récit, conséquence de l’amnésie à venir de L. La légèreté de l’enfance s’alourdit dans un contexte de prolongation tropicale de la guerre froide. On pose des matelas contre les vitres pour bloquer les balles perdues, le frère détient toujours une batte de baseball dans son coffre de voiture, on vit sous un couvre-feu.

Les scènes évoquant la guerre civile comme toile de fond du récit font partie des moments les plus touchants du roman, notamment le court chapitre intitulée avec humour « Full metal Louvette », dans lequel Louvette brave l’interdit afin d’aller dehors.

« Un casque ! Le choix dans la cuisine n’est pas très vaste : la poêle, c’est inutile. La grande casserole lui bouche la vue. Et puis elle est vraiment trop lourde. La passoire rouge. Légère, aérée, elle lui va même très bien, selon la porte du four. »

L’invention de Louvette, Gabriela Trujillo

Qui plaît sans convaincre 

Si L’invention de Louvette séduit, surtout au début, il ennuie quelque peu à partir de la moitié du récit, moment où les scènes d’adolescence deviennent assez prévisibles et la langue un peu trop emphatique pour préserver l’authenticité de la poésie des premières pages.

C’est la structure du roman qui, par moments, frustre le lecteur. Les prolepses – sauts dans la narration – sont nombreuses et permettent de voir dans la vie de L. des échos du passé de Louvette. Le problème est que ces sauts dans le temps sont toujours amenés de la même manière, par les mêmes formules : «  Bien des années plus tard  », «  Des années après  » , «  Quelques années plus tard  », ou encore le très original «  Des années plus tard  ». Ces anticipations temporelles n’excèdent jamais le court paragraphe de cinq lignes et déçoivent le lecteur, en ce qu’elles auraient permis de complexifier et de densifier littérairement l’identité de la narratrice. L’autrice ne fait que suggérer ce qui aurait fait de ce livre un roman beaucoup plus original.

L’invention de Louvette, Gabriela Trujillo, Verticales, 19 euros.

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