Dans La Nuit des Rois, film somptueux et mystérieux, Philippe Lacôte emporte dans un conte au-delà du temps.
La Nuit des Rois se révèle lentement sous une lune rouge, laissant peser l’intrigue dans les silences d’une prison, la MACA. Comme dans un conte sombre et entêtant, le réalisateur lève tout doucement le voile sur un lieu où les règles sont chamboulées. L’ordre n’est qu’apparent, et c’est sous les dessous d’une hiérarchie bancale qu’apparaît le vrai cœur battant de la prison. Rien n’est dévoilé trop vite. Avec une maîtrise parfaite de son rythme, le metteur en scène installe l’attente, et ne brusque rien. Malgré la violence ambiante, c’est la patience du spectateur qui doit primer : tout sera révélé au matin.
L’atmosphère est grasse, lourde et poisseuse. Elle colle à la peau, dérange et interroge. Chaque minute pèse, un peu plus lourde que la précédente, sur le sort de la MACA. Au milieu d’une nuit qui paraît sans fin, la voix du « Roman » mène la danse. Ce prisonnier, condamné à raconter une histoire à un public de voyous, porte d’une gorge rauque la fièvre d’un homme qui risque sa vie. La loi de la MACA ne l’épargnera pas, alors son histoire doit durer. Toute la nuit, jusqu’à l’aube, il doit raconter.
Sa voix devient la frontière, toujours plus fragile, entre la nuit et le bain de sang arrivant avec les premières lueurs du matin. L’autorité du chef de la MACA, malade, a été attaquée, et la prison menace de sombrer dans la terreur et une violence sans fin. Alors le « Roman » a été appelé. Pour faire taire cette protestation naissante, apaiser la haine et les coups. Tant qu’il racontera, le « Roman » tient dans la paume de sa main la paix. Mais pour combien de temps ?
La Nuit des Rois : poésie et sang
Abandonnés de tous, coupés du reste du monde, les prisonniers n’ont plus que cette histoire pour les faire voyager. À travers les mots qui font écho dans les murs de la prison, ils reprennent vie. Ces mots les connectent à des siècles d’histoire, les rassemblent dans cette même avidité d’exister. Par-delà les époques, le « Roman » fait peser une voix lourde de conséquences, et, le temps d’une nuit, les murs de la prison semblent brisés. La poésie brûle, pour un temps au moins, dans ce monde sombre et sanglant.
La mise en scène est belle à couper le souffle. L’image transpire dans la chaleur de cette nuit sans fin, de cette tension menaçante. Les acteurs, pour la plupart novices à l’écran, habitent d’une présence ardente ce conte de Mille et Une Nuits, porteur de tant de secrets. Le récit du « Roman » est coupé d’épisodes obsédants de danse et de chant. Le film respire avec une poésie infinie, qui n’est en rien entravée par le lieu tragique où il se déroule. C’est grandiose, tout simplement.
Avec Run et L’Âme du Tigre, Philippe Lacôte annonçait déjà une carrière passionnante, faite de films profondément singuliers, proposant au spectateur des voyages inoubliables. La Nuit des Rois s’inscrit dans la continuité de cette promesse. Porté par un groupe d’acteurs captivants, ce long-métrage s’impose comme la marque d’un artiste à suivre.