CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2021 – « Tout s’est bien passé » : Tuer le père

© Carole BETHUEL/Mandarin Production/Foz

SÉLECTION OFFICIELLE – COMPÉTITION – Quatre ans après la présentation de L’ Amant double, le sérial-filmeur François Ozon revient en Compétition au Festival de Cannes avec Tout s’est bien passé. L’adaptation hommage du roman d’Emmanuèle Bernheim consacré aux derniers jours de la vie de son père. Un drame au coeur de l’intime porté par des comédiens.ne.s exceptionnels.

Dans le cinéma de François Ozon, les pères n’ont jamais le bon rôle : absents, faibles ou tués par leur progéniture. Dans Tout s’est bien passé, cette nouvelle figure de paternité exige sa mort auprès de ses filles. Ce père interprété par un André Dussolier diminué, vieil homme d’affaires homosexuel, mauvais père mais bon ami, s’affirme comme personnage complexe, humain. Ni salaud, ni saint. Après son AVC, André Bernheim, ne veut plus survivre avec des séquelles. Ses filles, Emmanuèle (Sophie Marceau) et Pascale (Géraldine Pailhas) vont le voir tous les jours à l’hôpital, même si comme nous le montrent les flashbacks de l’enfance, il n’a pas toujours été tendre avec elles. Mais un jour André saisit la main d’Emmanuèle et la prie de l’aider à en finir avec la vie. S’ensuit alors sept mois de doutes, de questionnements au plus près de l’intimité de cette famille.

Romancière et scénariste, Emmanuèle Bernheim raconte dans un roman éponyme, publié en 2013, les derniers mois de la vie de son père. En 2019, Alain Cavalier présente le film Être vivant et le savoir . À l’origine ilelles devaient toustes les deux adapter le roman, mais la maladie s’empare de l’autrice et le film se transforme peu à peu. Elle décède en 2017 des suites d’un cancer des poumons, et c’est donc un autre de ses amis, François Ozon – avec qui elle a collaboré à l’écriture de Sous le sable, Swimming-pool et 5X2 – qui lui rend hommage en portant Tout s’est bien passé à l’écran.

Vers le documentaire

Chaque année François Ozon alterne des films aux antipodes, creusant à chaque nouvelle histoire le meilleur genre pour la raconter avec ses moyens cinématographiques. Après s’être attaqué pour la première fois à un sujet de société contemporain avec Grâce à Dieu, il avait raconté l’an dernier une histoire d’amour – bercée par la pulsion de mort – entre deux adolescents sous la chaleur de l’ Été 85, rien d’étonnant à ce que le cinéaste s’attaque de nouveau à un sujet sociétal et intime, celui du suicide assisté.

S’il n’oublie pas certains de ses thèmes caractérisant son cinéma : un peu d’humour et de cynisme, Tout s’est bien passé nous introduit au plus près de cette famille et cette mort planante au-dessus des personnages. Il aborde sans ménagement les interrogations qui découlent de cette décision d’en finir pour soi et pour ses proches sans jamais apporter de jugement sur ses personnages. François Ozon se tourne de nouveau ici vers le naturalisme voire le documentaire fictionnalisé. Il abandonne l’inventivité de mise en scène et de montage, moelle de son cinéma depuis tant d’années par une certaine forme de classicisme banal mais certainement très sincère et tente d’apporter un aspect grinçant par la comédie. Un parti pris qui fonctionne une fois sur deux.

Il n’empêche, le cinéaste est et restera un des meilleurs directeur d’acteurs.rices du cinéma français. Grimé, le visage abimé par l’AVC, André Dussollier livre une performance remarquable dans le rôle de ce père complexe dénué de gentillesse. Sophie Marceau incarne parfaitement les tourments intérieurs d’ Emmanuèle Bernheim, rejoignant la liste des plus grandes actrices françaises ayant tournées avec le réalisateur. Autour de ce duo père-fille, des comédien.ne.s déjà passés devant sa caméra : Géraldine Pailhas méconnaissable dans le rôle de la soeur, Éric Caravaca interprète tout en douceur le compagnon Serge Toubania, en force et en sensibilité Grégory Gadebois joue l’amant encombrant tandis que la présence de Charlotte Rampling en mère malade et dépressive et de Jacques Nollot en compagnon de chambre apparait comme un bel un hommage à Sous le sable, le mystère en moins. Une seule hâte persiste, celle de voir prochainement François Ozon retourner à ses premiers amours avec Petra Von Kant, l’adaptation d’une pièce de Fassbinder.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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