Deux fois par mois, la rédaction se consacre au petit écran et revient sur une série pour la partager avec vous. Toutes époques et toutes nationalités confondues, ce format vous permettra de retrouver vos séries fétiches… ou bien de découvrir des pépites. Aujourd’hui, nous allons parler de la série culte The Shield.
The Shield est l’archétype de la série policière américaine des années 2000. La série met en scène la descente aux enfers d’une unité d’intervention de la police de Los Angeles aux méthodes douteuses sur sept saisons.
Pyramide des normes
Vic Mackey (Michael Chiklis) dirige une brigade antigang au sein d’un commissariat expérimental, le Bercail. Il cultive l’ambiguïté vis à vis de ses supérieurs et ses collègues. Ses méthodes brutales et immorales sont contre balancées par la brillance de ses résultats, nécessaires au maintien du poste de police. D’autres inspecteurs plus traditionnels sont centraux comme Claudette Wyms (CCH Pounder) et Dutch Wagenbach (Jay Karnes), ou des officiers comme Danny Sofer (Catherine Dent) ou Julien Lowe (Michael Jace). Contrairement à d’autres séries comme The Wire, les gangs ne sont pas à égalité de point de vue avec la police. Les interactions entre personnages non policiers sont assez rares.
De plus, la série ose apporter un regard politique à ses intrigues. Le premier capitaine de police, David Aceveda (Benito Martinez) devient conseiller municipal affilié au quartier de Farmington. L’aspect politicien reste timide et son aspect sociétal prend le pas sur les rouages électoraux. La violence, la pauvreté et la colère sont mises en avant de manière récurrente. Par exemple, la croissance de la majorité hispanique est évoquée à plusieurs niveaux : leurs gangs sont plus diversifiés que les organisations afro-américaines ou blanches, Tina Hanlon (Paula Garcés) une nouvelle, arrivée à la saison 5, incarne le renouveau populationnel du quartier.

Délivrance explosive
D’abord la brigade se comporte comme une famille dans les premières saisons amplifiant les drames relationnels. L’équipe subit finalement peu de changement au cours des saisons et s’articule autour du quatuor : Vic, Shane Vendrell (Walton Goggins) son bras droit, Curtis Lemansky (Kenny Johnson) l’âme du groupe et Ronnie Gardocki (David Rees Snell) beaucoup plus discret. Seulement, au fil des épisodes les personnalités vont s’exacerber face à la pression d’Aceveda et des affaires internes.
Shane s’éloigne de plus en plus de Vic se rendant compte de son caractère toxique. L’équilibre familial se détériore, l’ouverture d’une enquête interne dirigée par le lieutenant Jon Kavanaugh (Forrest Whitaker) précipite l’implosion de l’équipe. Lemansky devient un indicateur forcé contre les agissements de ses amis. La patience de Shane finit par céder devant le tiraillement de Lem entre ses impératifs moraux et sa loyauté indéfectible. Le final de la saison 5 est l’apogée d’une mésentente grandissante, une défiance absurde et une souffrance d’un membre de l’équipe dans l’ombre de Vic Mackey.



The Shield est le premier coup de maitre de son créateur Shawn Ryan. Le principal parti pris concerne le format 16 mm. Plus économique et plus pratique que le 35 mm. La résolution et le grain de l’image renvoient directement au cinéma amateur et centré sur le commissariat du quartier chaud de Farmington à L.A. Ce point de vue conjugué avec le cahier des charges technique
permet de parer la série d’un réalisme saisissant. De plus, la caméra est très souvent portée à l’épaule. The Shield reprend les codes du documentaire parodique comme The Office et la série policière classique. L’écosystème du Bercail est parfaitement décrit et la mise en scène immersive permet à la série de développer sa puissance dramatique.
Versification racinienne
Enfin la principale réussite de la série reste la construction des personnages. Ils dépassent leurs propres archétypes. La capitaine Monica Rawling (Glenn Close) est la supérieure la plus proche de Mackey. Sa droiture contraste avec les arrangements et les coups bas d’Aceveda. Néanmoins l’enquête des Affaires internes est lancée précisément par elle pour valider sa politique auprès du chef de la police. Vic, véritable monolithe, complètement corrompu, violent, s’attache pourtant à respecter un code d’honneur le berçant dans l’illusion d’être meilleur que ceux qu’il arrête. Le tandem Wyms/Wagenbach apporte de la convention et de la fraicheur dans un univers rempli de testostérone.
Finalement on peut regretter le déséquilibre d’importance entre les rôles féminins et masculins. Corrine Mackey (Cathy Cahlin Ryan), l’ ex-femme de Vic, est souvent cantonnée au personnage de fonction comme infirmière à l’hôpital. Si la série décide de relater son émancipation par rapport à son mari, Corrine reste souvent trop passive.
The Shield est le chef d’œuvre de la FX. La série annonce l’avènement de l’ère moderne. Les personnages ont profondément marqué l’imaginaire américain. On pensera à Breaking Bad pour la chute d’un homme menant une double vie, chute matérialisée par la destruction de sa famille bien ancrée dans le tissu social. La fureur laisse place à l’incrédulité, illustrée par Vic dans le sublime plan final : un zoom avant à la Sergio Leone ou Corbucci pour filmer seulement les yeux conférants d’un aspect léonin au visage de Michael Chiklis.