Depuis qu’ils ont repris contact après des années de silence, Antoine et son père se rendent chaque année à Biarritz pour une semaine de vacances. L’un surfe, l’autre boit. Mais cette fois-ci, celui que tout le monde surnomme l’Élégant montre des signes de fatigue. Un roman solaire comme une carte postale qui questionne discrètement les liens qui unissent pères et fils.
Antoine, la trentaine, est concepteur-rédacteur dans une boîte de pub. Était. C’était le job de ses rêves, mais il a récemment quitté son travail, sans véritable raison. Peut-être pour se mettre à écrire. En attendant, c’est l’été, et ce parisien originaire de Versailles ne manquera pas de rejoindre son père, ex-versaillais lui aussi, sur la côte basque où il vit depuis qu’il ne fait plus d’argent. Lui, l’Élégant, a perdu de sa superbe. Abonné aux terrasses de bars dans lesquels il siphonne du rosé à longueur d’après-midi, il cuve son ancienne vie d’expatrié, presque colon, où il pouvait vivre comme un prince claquemuré derrière de grandes haies qui le séparaient des populations indigènes de Brazzaville.
Père et fils se retrouvent après s’être longuement perdus de vue, se parlent sans jamais vraiment rien se dire, se cachent leur affection derrière une pudeur qui donnera rapidement au fils un grand sentiment de gâchis. Mais bientôt, au détour d’une soirée passée à trop picoler – le père parce qu’il est alcoolique, le fils parce que c’est son seul moyen d’établir le contact avec son paternel – ils se disent qu’ils partiraient bien en road-trip sur la route des surfers. Antoine exulte, c’est son rêve. Il redescend sur terre le lendemain matin : encore une promesse en l’air dont les taux élevés d’alcoolémie ont le secret. Pourtant, le lendemain matin, le patriarche maintient. On partira sur la fameuse route du surf : plages basques, Espagne, puis la légendaire portugaise où l’on se dispute les vagues les plus dangereuses d’Europe. Alors ils partent, et tentent de se retrouver au passage.
Roman carte postale
Barthélémy Desplats, auteur de ce premier roman aux accents du Sud-Ouest et avatar de son personnage principal dans la vraie vie, a conçu son roman comme une carte postale. Ce concepteur-rédacteur et scénariste dans la publicité imagine des scènes que nous, lecteurs, imaginons avec lui. S’il y a quelque chose qui résonne comme déjà vu et revu dans ce scénario de départ, la formule se révèle néanmoins efficace. L’empathie nous gagne à mesure que l’on s’invite dans les souvenirs de ce garçon, fou d’admiration pour un père qui l’abandonne et le méprise.
« Toujours face au vent et toujours séparés par ma planche de surf qui, je l’espère, aura bientôt une autre utilité que cette paroi entre lui et moi, nous avalons les kilomètres d’une magnifique route en bord de mer, chacun de son côté, chacun avec son enthousiasme, sa voix, ses attentes, mais aussi ses incertitudes. »
L’Élégant, Barthélémy Desplats
L’itinéraire que prennent les deux hommes, comme emprunté à la longue tradition des road-movies, offre des images que l’on n’a pas de mal à se représenter. Les plages ensoleillées de Biarritz, mêmes plages qui seront détrempées par la pluie dans les minutes qui suivront mais qui n’empêcheront jamais les surfers aguerris d’aller chercher la vague. On repense aux séries des années 90, aux films – Point Break avec Keanu Reeves, mentionné dans le livre – on s’y croirait.
Tu seras un homme, mon fils
Si l’écrivain partage avec son lectorat la douleur de la séparation avec son père, il ne questionne pas les origines de ce mutisme. L’Élégant, ancien expat-colon sur le déclin, cesse de se manifester auprès de sa descendance dès lors qu’il ne mène plus la grande vie, la vie faste du temps des (presque) colonies. Autrement dit, il meurt de honte dès lors qu’il n’a plus d’argent. Un détail qui peut sembler anecdotique mais qui dit quelque chose des injonctions à la puissance qui pèsent sur les hommes d’une génération. Tant que l’on est fort et puissant, on peut exister. Et dès lors que l’on ne l’est plus, on préfère se désagréger.
Le comportement de ce père fuyard, incapable de communiquer ses problèmes à ses proches, touche en réalité du doigt un enjeu universel. Barthélémy Desplats ne le sait peut-être pas, mais le comportement de son père est celui de beaucoup d’hommes. On préfère se taire plutôt que d’avouer que l’on a peur. On préfère perdre ses enfants plutôt que de montrer ses failles. Une attitude qui signe avec amertume l’impossibilité d’être faible – même parfois, même un peu – des hommes. Et une injonction sociétale à laquelle il nous incombe de réfléchir collectivement.
L’élégance de la plume
L’écriture de ce primo-romancier est habile, fluide, ne se perd pas en tentatives pompeuses d’être un grand écrivain avant l’heure. On lit L’Élégant comme une bluette d’été. On enjambe avec bienveillance les métaphores maladroites avant de se laisser surprendre, de temps en temps, par une formule poétique réussie. Le charme des premiers romans, sans doute.
« En envisageant la fin, je suis obligé de repenser au début, à ce petit garçon qui idolâtrait son père et qui le suivait partout, dès qu’il le pouvait. Sur les terrains de golf à sept heures du matin, au club-house où ma taille ne dépassait pas celle d’un tabouret de bar, en mer sur notre petit bateau à voile, et évidemment à la maison à l’heure de l’apéritif, quand je le regardais boire son Jameson d’une main tout en tripotant son paquet de Gitanes bleues de l’autre. »
L’Élégant, Barthélémy Desplats
On s’étonnera cependant que le double fictionnel de Barthélémy Desplats ne parle pas de ses motivations à écrire. Là où on le retrouve, le personnage vient seulement de quitter son travail dans la publicité. Dans la vraie vie, l’auteur est timide quand il s’agit de parler de son roman. À la radio, il parle « du bouquin », comme d’un objet extérieur dont il se tient éloigné et qu’il peine à s’approprier. On met du temps à devenir écrivain.
L’élégant de Barthélémy Desplats, Grasset, dix-sept euros cinquante.