LITTÉRATURE

« L’archipel des ombres » – Pérégrinations vaniteuses

L'archipel des ombres
© éditions des Équateurs

Alors qu’il est correspondant pour Le Monde en Indonésie, le journaliste Bruno Philip s’essaie au genre littéraire et tente de s’inscrire dans la longue tradition des écrivains voyageurs. Une tentative ratée. 

L’archipel des ombres, sous-titre  : Un voyage en Indonésie. Sur la page qui suit les dédicaces du livre et une citation de l’écrivain Fernando Pessoa, une carte de l’Indonésie. Ce pays, Bruno Philip le connaît bien. Correspondant pour le journal Le Monde en Asie du Sud Est, il a sillonné le pays de long en large, de haut en bas. Son voyage, ou en tous cas son récit de voyage, commence à Medan, une ville située au Nord de l’île de Sumatra, indonésienne, elle aussi. De ce long périple qu’il fera à travers le pays, Bruno Philip essaie de capter l’essentiel. Les rencontres avec les autochtones d’abord, les paysages aussi, les rites et autres pratiques qui, en tant qu’occidental, le choquent parfois. En voyageant, il provoque ce qu’il appelle avec humour son penchant pour la mélancolie. L’idée que la civilisation est toujours inévitablement sur le déclin ne le quitte jamais. 

Absence de beauté

Si l’on considère que les récits de voyage se prêtent à la poésie, ou tout du moins présentent une vision esthétisée du monde, on sera inévitable déçu par ce texte dénué de toute beauté. Bruno Philip enchaîne les phrases lourdes dans un langage pompeux qui étouffe toute tentative de beauté. De ce récit de voyage ne se dégage pas l’atmosphère moite que l’on pourrait imaginer de ces îles, de ces temples, de ces forêts que l’auteur traverse. À la place, l’inventaire minutieux des éléments qui composent chaque paysage. La description des âmes croisées sur le chemin et parfois même un début de décryptage de la situation géopolitique du pays.

Il pensait pouvoir enfiler la casquette d’écrivain, mais force est de constater que son métier de journaliste rattrape Bruno Philip. Celui-ci assène son lecteur de cette multitude de détails qui ne laissent place à aucune image, aucune rêverie. La magie des lieux est empêchée par cette phrase, trop abondante, qui dit tout mais ne capte rien. 

«  Autour, la forêt faisant entendre les bruits de son orchestre où chacun joue en solo  : murmure de la végétation qui semble mener sa vie à elle, trille des oiseaux, crissement des cigales qui déclenchent soudainement leur ensemble musical grinçant au signal du crépuscule. Univers opaque où l’on ne distinguait presque rien. Monde où s’agitaient, invisibles, des bandes d’écureuils volants, des chauves-souris, de grands pigeons impériaux, des ours, des pangolins, des mangoustes (…)  » 

Bruno Philip, L’archipel des ombres

Sur les traces de l’Arthur

De l’auteur, d’ailleurs, on ne sait pas grand-chose non plus. Ses sensations à la rencontre de l’inconnu, qui pourraient pourtant constituer le cœur du récit sont sans cesse occultées. À peine se confie-t-il sur cette idée qui l’habite que la mélancolie est un trésor, que le déclin est proche. Au détour d’une description, il se laisse parfois aller à un trait d’esprit sur sa propre situation. On n’en saura pas plus.

Au cours de ce périple long de cent-cinquante pages, Bruno Philip se met sur les traces d’un autre écrivain voyageur. Beaucoup plus illustre. L’ «  Arthur  », tel qu’il le surnomme, aurait, il y a quelques siècles, posé le pied sur ces chemins. Peut-être même pris le train dans une gare, sur laquelle les anciennes compagnies coloniales ont fièrement fait apposer une plaque dorée. Si l’admiration pour Rimbaud est universelle, le parallèle avec Philip est excessif. «  L’Arthur  », qu’il le surnomme, comme une marque de familiarité, qui ajoute à la pédanterie d’une verve déjà pompeuse. Bruno Philip interroge les locaux  : ici, personne ne connaît le fils de Vitalie Cuif. Nos névroses françaises n’appartiennent qu’à nous. 

Après un bref arrêt en terres rimbaldiennes, l’auteur se détachera du gamin de Charlesville pour repartir en vadrouille à travers le pays. Sur la route, il recroisera le souvenir d’un ou deux autres auteurs mythiques ayant marqué le souvenir franco-français. Quelques autochtones, aussi, parfois, avec qui il échangera un rire, boira une bière. Avant de quitter le pays et ce texte, qu’il signera depuis la Thaïlande. On ressort de L’Archipel des ombres sans bien savoir quelle empreinte le texte aura laissée sur nous. Probablement parce qu’il n’en a laissé aucune. 

L’archipel des ombres de Bruno Philip, éditions des Équateurs, dix-sept euros. 

Journaliste

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