LITTÉRATURE

« Dating fatigue » – Les relations hétérosexuelles sur le grill

Dating fatigue
Couverture de Dating fatigue © Summer Evening d'Edward Hopper, 1947. Photographie de Francis G. Mayer pour Getty images

Après une première enquête remarquée sur les coulisses des applications de rencontre, L’amour sous algorithme, la journaliste Judith Duportail s’attaque à la «  dating fatigue  ». Un livre à mi-chemin entre investigation et autofiction qui brosse un portrait au vitriol de nos relations hétérosexuelles souvent défaillantes. Passionnant. 

Le concept peut, à première vue, sembler saugrenu mais il prend vite les atours de l’universel. La «  dating fatigue  », c’est l’idée selon laquelle la drague a quelque chose d’un peu vain, d’un peu dépassé. Après avoir égrainé le fonctionnement des applis de rencontre, Judith Duportail réalise qu’il est structurellement inégalitaire. Sur Tinder par exemple, les femmes ayant un haut niveau de diplômes sont pénalisées par l’algorithme. Et ce, quand elles ne sont pas marginalisées par les hommes eux-mêmes. L’autrice en fait les frais  : un homme à qui elle tarde à répondre se met littéralement à l’insulter. Judith Duportail a fait Sciences Po, elle est forcément snob. 

À quoi bon  ?

La «  dating fatigue  », c’est aussi faire un pas de côté pour se demander à quoi ça sert tout ça  ? Après avoir enchaîné les rendez-vous galants plus foireux les uns que les autres, l’autrice interroge l’utilité des sites de rencontre. Par ailleurs, la révolution #MeToo est passée par là. Maintenant que l’on sait que les violences sexuelles ne sont plus le fardeau d’une seule femme, mais subies par toutes, que faut-il en déduire  ? Autrement dit, si presque toutes les femmes sont victimes de violences sexuelles, les hommes sont-ils tous des agresseurs  ?

«  La question n’est pas de savoir comment draguer. C’est pourquoi. Pourquoi draguer après #MeToo  ? Dans les médias, on ne parle que d’une prétendue peur des hommes de séduire depuis #MeToo, par crainte de se voir coller un procès. Comme si c’était ça le sujet  ! Non, le sujet, c’est comment faire pour aller à des dates, faire les yeux doux dans les bars à des semi-inconnus, quand tu sais que si quasiment toutes les femmes ont été victimes de violences sexuelles, c’est peut-être bien que quasiment tous les hommes…  » 

Judith Duportail, Dating fatigue

En mettant en scène ses doutes, ses craintes mais aussi ses rencontres plus ou moins réussies, Judith Duportail dépasse le questionnement théorique sur le couple. À travers ses errances amoureuses, ce sont les nôtres qui transparaissent. 

De l’art de trouver des solutions

Si Dating fatigue est écrit en mode «  gonzo  » – ce journalisme qui met en scène son auteur et considère que les marges d’un reportage sont au moins aussi intéressantes que son contenu – le constat qu’il fait n’a rien de nouveau. Les violences sexuelles existent. L’égalité femmes-hommes n’est pas atteinte. Nos relations hétérosexuelles sont souvent malsaines. 

Cela fait quelques années déjà que les littératures féministes se sont emparées de la question. Le très remarqué Sorcières de Mona Chollet décortique minutieusement l’origine des violences subies par les femmes. L’essayiste Pauline Harmange, dans Moi, les hommes je les déteste pointait déjà en 2020 la dimension systémique des violences vécues par les femmes. Dans Présentes, Lauren Bastide fait état de leur impossibilité de s’emparer de l’espace public, qui leur demeure hostile. 

«  Je croyais qu’il y avait encore de l’espoir, je croyais à force de lire des posts Insta, des articles, des témoignages sur l’importance du consentement que le monde changeait, mais tu parles  ! Finalement, seules les meufs les lisent entre elles dans une forme de transe collective post-traumatique  ! Dans la vraie vie, tout le monde s’en fout de notre consentement.  » 

Judith Duportail, Dating fatigue

Maintenant que l’on sait qu’il reste beaucoup à faire, comment agir  ? C’est la question à laquelle tente de répondre Judith Duportail. L’autrice se livre à une exploration des différentes possibilités offertes aux femmes de sortir de ces relations structurellement inégalitaires. Cette enquête est drôle, foisonnante, désespérante parfois. Dating fatigue ne répond pas à toutes les questions soulevées – le chantier est trop vaste – mais ouvre définitivement des portes et donne matière à réflexion. L’hétérosexualité de demain est encore à inventer.   

Dating fatigue de Judith Duportail, éditions de l’Observatoire, 18 euros. 

Journaliste

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