CINÉMA

« Sweet thing » – Chronique mélancolique

Sweet thing
© Urban Distribution

Pour son premier long-métrage intégralement autofinancé, Alexandre Rockwell filme comme un conte l’adolescence de Billie et de son frère, enfants maltraités et en fuite dans une Amérique marginale et mélancolique. Grandiose.

Sweet thing s’ouvre comme un vieux Chaplin  : absence de couleur et lumière phosphorescente viennent mettre en valeur le visage de Billie que l’on devine mélancolique dès les premières secondes. Son visage est souvent filmé de près, ses yeux éclairent comme des lanternes un quotidien d’enfant pauvre du Massachusetts. Billie, comme Billie Holiday, grande chanteuse à la voix singulière. 

La jeune Sweet thing vit avec son petit frère et son père, employé par les grandes chaînes de magasin pour se déguiser tantôt en père Noël, tantôt en gros panda, dont l’objectif unique sera d’agiter des pancartes publicitaires au bord des routes. Le père est aimant, mais alcoolique. Il sombre et coule, insiste pour couper les cheveux de sa jeune fille. «  Je les ai laissé pousser trop longtemps  » répète-t-il ivre mort tandis qu’il ampute Billie de ses longues mèches qui ondulent puis flottent jusqu’à atterrir bêtement dans l’éviter de la petite salle de bain. Billie pleure mais elle n’est pas seule  : au bout de ses cils mouillés, la grande Billie Holiday sèche ses larmes avec grâce. 

Mise en scène incandescente

Les malheurs de Billie sont filmés comme un conte. La caméra se promène dans l’espace, toujours singulièrement noir et blanc comme si nous n’étions pas dans la réalité. À la place, le monde sublimé de l’enfance, qui transparaît dans les yeux de la jeune fille, la manière avec laquelle elle regarde son petit frère. On se promène et ça bouge beaucoup, Alexandre Rockwell filme les corps d’une manière spéciale. La mise en scène, très léchée, dégage une certaine légèreté et contraste cruellement avec le quotidien de ces enfants maltraités. 

La couleur revient parfois, lors de rares instants, fugace. Le noir et blanc s’éteint à l’occasion de journées à la mer. L’écran se teinte de couleurs criardes, l’image est saccadée. Billie retrouve sa mère lorsque son père, trop ivre pour élever des enfants s’en va en cure. Avec la mère, Beaux, le beau-père, qui n’a de beau que le nom. Un teint hâlé par le soleil de bord de mer, de longues mèches brunes et une musculature imposante. Beaux est probablement indien. 

À table, après s’être montré violent avec la mère, il raconte simplement que son père à lui le cognait après chaque repas. Forcément, à côté, il apparait comme « moins pire ». À la mer, il porte Billie, la Sweet thing, et la jette dans l’eau salée. La caméra s’affole et coule dans l’eau avec son héroïne. Noir et blanc, couleur puis noir et blanc. Les plans se succèdent, changent de couleur et semblent accompagner le trouble. À l’image  : les bulles d’oxygènes qui empêchent de bien voir les mains de Beaux qui se promènent sur le corps juvénile de Billie. Retour au noir lorsque la jeune fille sort de l’eau, le trouble comme tatoué sur le visage. La maltraitance est une spirale. 

Trouver sa place

De la mise en scène d’Alexandre Rockwell se dégage une grande force poétique. La poésie pour raconter l’enfance et ses affres. Comme s’ils avaient décidé qu’ils avaient suffisamment souffert, les enfants finiront par s’enfuir. Avec cette fuite, c’est la quête de soi qui se dessine. Trouver sa place dans un monde trop violent, trop grand aussi. En somme, les dernières heures avant la vie d’adulte. Plutôt, avant que les désillusions de l’enfance ne fassent de ces enfants des adultes trop rapidement. Ou comment montrer la beauté crépusculaire d’une enfance ruinée. À voir de toute urgence. 

Journaliste

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