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Rencontre avec Rone : « C’est comme si je revenais au cinéma par la musique »

Rone - © Clément Simon
Rone - © Clément Simon

Malgré un contexte troublé, Rone sort un disque collectif intitulé Rone & Friends. Des voix, comme celles de Dominique A ou de Jehnny Beth, viennent accompagner les sonorités nourries par son précédent album Room With a ViewRencontre.

Il est 11h du matin quand l’enregistreur se met en route sur les hauteurs verdoyantes d’une maison cancalaise. Rone nous reçoit directement chez lui pour évoquer son dernier album, mais aussi son César pour La Nuit venue et son travail pour le dernier film de Jacques Audiard présenté à Cannes, Les Olympiades.

Après un long entretien, il nous propose de visionner un court-métrage scénarisé par Spike Jonze, avec lequel il a travaillé pour la bande-originale. Un processus dans la continuité du spectacle de (LA)HORDE qui accompagnait la sortie de Room With a View, l’année dernière. Revenir au cinéma par la musique, vaste programme. 

Ton dernier album, Rone & Friends, est paru le 26 mars. Dans sa représentation scénique au Théâtre du Châtelet, le bruit de la mer s’entend distinctement au début du morceau Faro. Le son des vagues complète le cri des mouettes présent sur le disque. Ton installation à Cancale a joué sur la création de l’album et sur la préparation du concert ?

Pour pouvoir répondre à ta question, je dois faire un long détour. Le premier album que j’ai fait, Spanish Breakfast, n’était pas du tout prévu. Je n’avais pas en tête l’idée de faire de la musique pour les autres et encore moins d’en vivre. Des gens du label InFiné ont entendu certains de mes sons sur les réseaux sociaux et ils m’ont proposé d’en faire un album. J’ai réalisé que j’aimais ça à partir du premier concert, au Rex Club. Pour composer, le label m’a prêté une cave située juste en dessous de leurs locaux. C’était une période difficile, je bloquais et un tas de questions défilait dans ma tête. J’ai dû faire un morceau en six mois. J’ai proposé à ma copine de se tirer à Berlin et ça m’a complètement débloqué. La langue allemande était une nouveauté pour moi, j’apparaissais comme un extraterrestre qui découvre une nouvelle planète. En rentrant en France après mon deuxième album, j’ai retrouvé ce blocage. Sans le savoir, la solution se trouvait sur le morceau Bora où Alain Damasio suggère de s’isoler. Tout était là, devant mes yeux.

À partir de ce moment, j’ai pris l’habitude de partir pour composer. La Bretagne est une destination qui revenait souvent, notamment près de Saint-Brieuc. J’avais déjà en tête l’idée de quitter Paris. C’est une thématique qui revient de manière inconsciente dans mon travail. L’arrivée de la pandémie a accéléré ce processus. Le son de la mer vient donc se greffer assez naturellement dans mes dernières productions. La maison à Cancale devient un lieu paisible de création. J’ai toujours enregistré les sons qui m’entourent et on retrouve la voix de mes enfants, mais aussi le cri des mouettes.

C’est un très beau morceau, plutôt planant. Cette sensation se ressent à plusieurs reprises dans l’album, avec une logique de transcendance comme dans le titre À l’errance. Ta musique prend de l’ampleur et accompagne la voix si particulière de Dominique A. C’est un bel élan apporté à ton œuvre. Comment la rencontre s’est-elle faite ?

Je rêvais de travailler avec lui. Je l’ai découvert avec un morceau qui s’intitule Le Twenty-two bar. La voix de Françoiz Breut me fascine et j’aimerai bien bosser avec elle plus tard. Lors d’un concert à la Maison de la Radio, il jouait son album Eléor. J’ai pris une claque et je suis devenu une espèce de fan, j’ai lu ses bouquins, écouté l’ensemble de sa discographie. Un jour, on se retrouve dans une interview croisée pour France Inter. Je ne suis pas sûr qu’il connaissait bien mon travail, mais la journaliste balance le morceau Quitter la ville et j’observe ses réactions. On échange quelques mots et lui enchaîne une autre interview. La journaliste revient me voir ensuite en me disant que Dominique A aimerait travailler avec moi ! Pour l’album Rone & Friends, tout s’est fait à distance. J’ai donc extrêmement hâte de le retrouver et de continuer à faire de la musique avec lui.

La logique de l’album de duos, si on peut l’appeler comme ça, provoque une contamination entre les univers. J’ai l’impression que les instruments organiques prennent plus de place qu’avant, comme une intrusion des autres artistes dans ta matière sonore. Comment s’est déroulé le processus de création ?

Cet album n’était pas du tout prévu. La tournée avec (LA)HORDE autour du disque Room With a View s’est arrêtée en raison de la pandémie. C’était frustrant de ne pas pouvoir jouer ces sons sur scène. Casper Clausen, le chanteur du groupe danois Efterklang, voulait poser sa voix sur le morceau Human. Je ne savais pas quoi faire de cette très belle version. En parallèle, j’ai demandé à Yael Naïm si elle voulait poser sur un morceau et elle m’a envoyé trois propositions. Petit à petit, j’ai accumulé quelques morceaux chantés de l’album Room With a View. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire une instru originale donc on retrouve des mélanges un peu étranges avec des réminiscences et des nouveautés. Le lien, c’est l’envie de faire un album de chansons. Le titre de travail était Vox, en référence à la piste des voix sur une table de mixage.

Il y a très peu de musique électronique dans le morceau Un, en compagnie d’Alain Damasio. Pourquoi ce choix ?

Au départ, c’était une toute petite boucle électronique qui traînait sur mon ordinateur depuis longtemps. Alain Damasio est l’un de mes meilleurs amis et c’était évident qu’il allait se retrouver sur cet album. Je lui ai fait écouter la boucle et je lui ai demandé de m’envoyer des textes. Il y avait une vingtaine de textes très intéressants mais très chargés en sens. Au milieu se trouvait un îlot de poésie érotique. Le choix de ce texte l’a surpris mais c’est ça qui me passionnait. En posant la voix de Mood et d’Alain sur le morceau, ça a donné quelque chose de très gainsbourien.  

Rone & Friends, si on écarte un titre comme Closer, me semble crépusculaire, pas orienté vers la constitution d’un nouveau monde mais plutôt comme la fin du nôtre. Comme un cri de l’humain avant l’hégémonie des machines. L’arrivée de la pandémie a donné cette coloration à l’album ? 

C’est intéressant cette lecture. Quand j’ai fait ce disque, je n’avais pas vraiment ce but en tête. Pour moi, c’était vraiment comme une pommade pour réconforter et il me semble que c’était pareil pour les artistes qui ont participé au disque. Je voulais que ça tourne autour de l’humain, avec un regard bienveillant. Il y a une conscience de l’urgence écologique mais avec un espoir à retrouver. C’est ce que symbolise le morceau Human.

Au fil des albums, je vois une lutte profonde contre une certaine musique électronique qui serait totalement soluble dans un monde à grande vitesse. Plus tu avances et plus tu tentes de briser les flux, les boucles. Si certains morceaux de l’album Spanish Breakfast (2009) évoquent la répétition mais plus dans une logique de transe, les ruptures de ton se multiplient notamment dans Rone & Friends. Comment tu perçois cette évolution ?

J’ai découvert la musique électronique par des gens comme Aphex Twin avec, en parallèle, l’expérience des grandes fêtes vers dix-huit ans. La musique électronique est désormais hégémonique. Tu en retrouves dans presque toutes les publicités, par exemple. Il y a une récupération qui est faite de manière très mécanique mais ça se sent tout de suite si une musique électronique manque d’âme. Tout est toujours récupéré, y compris les discours contestataires. Au fond, le cynisme et la dimension mercantile sont repérables facilement, ce qui me rend plutôt tranquille par rapport à ça.

Tu as reçu en début d’année le César de la meilleure musique de film pour La Nuit venue. Le cinéma semble avoir une grande place dans ta vie, ne serait-ce que sur un plan scolaire. Peux-tu revenir sur ce parcours ?

J’étais un très mauvais lycéen, un peu perdu et timide. En même temps, ça bouillonnait en moi mais je n’arrivais pas à m’exprimer. Après le baccalauréat, j’étais paumé. Il n’y avait qu’une évidence : trouver un moyen d’expression artistique. Je me suis inscrit en faculté de cinéma et j’y suis resté quatre années, jusqu’à la maîtrise. Les rêves de cinéma ont été mis de côté après la signature du contrat chez InFiné. Aujourd’hui, c’est comme si je revenais au cinéma par la musique.

Les Olympiades de Jacques Audiard était présenté à Cannes cette année. Tu as composé la bande-originale. Vous avez beaucoup échangé pendant le processus de création ?

On se parlait tous les jours. J’étais à Paris en train de mixer la captation de Room With a View quand j’ai reçu un coup de fil me disant que Jacques Audiard voulait me rencontrer. J’ai découvert le film dès le lendemain. Il m’a proposé de sélectionner trois scènes du film et de les mettre en musique. Il m’a donné trois jours…

Je rentre à Cancale et je travaille comme un malade. Je me souviendrai toute ma vie du premier retour avec écrit « AMAZING  » en objet du mail. Il ne voulait plus vingt-cinq minutes de musique mais quarante-cinq. Je faisais la musique et je lui envoyais directement. C’était très stimulant.

Quels sont tes projets pour la suite ?

J’ai composé la bande-originale d’un court-métrage de Spike Jonze (ndlr : scénariste du film réalisé par (LA)HORDE)) ! Les concerts reprennent avec We Love Green à la rentrée. Je me retrouve avec plusieurs albums qui s’accumulent alors que j’enchaîne habituellement les concerts après la sortie d’un album. Ce sera probablement un mélange des dernières productions avec des morceaux plus anciens. Je ne suis pas sur une autoroute avec un tracé établi, je navigue un peu à l’aveugle (rires).  

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