CINÉMA

Rencontre avec Julie Delpy – « Ce film n’est pas ce qu’on attend de moi »

© Electrick Films/Tempête sous le crâne/UGC Images

À l’occasion de la sortie de son septième long-métrage, My Zoé, nous avons pu rencontrer Julie Delpy. Pour ce projet, elle endosse plusieurs rôles dont celui de réalisatrice, de scénariste et d’actrice dans le rôle principal.

Après Lolo (2015), Looking for Jimmy (2002), La Comtesse (2009), Julie Delpy est de retour avec un drame familial, en salles le 30 juin 2021.

Au sein d’une famille brisée par le divorce, Isabelle (Julie Delpy) reprend sa vie en main tout en se battant pour la garde de sa fille Zoé. Son ex-mari James (Richard Armitage) ne la laisse pas s’en tirer facilement. Frappée par une tragédie, la famille explose. Isabelle refuse de laisser le destin faire et prend les choses en main. Un amour maternel sans limites est représenté dans ce film, amour tiré de la vie personnelle de Julie Delpy.

La semaine dernière, nous avons rencontré Julie Delpy à l’hôtel Hoxton à Paris. Nous avons parlé de réalisation, d’inspirations personnelles, et de comment sortir de sa zone de confort en ignorant les attentes des autres.

My Zoe est un film qui représente l’amour sans limite d’une mère pour son enfant. Isabelle est prête à l’extrême pour Zoé. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez tiré de votre propre vie de maman ?  

Je dis toujours que si on faisait du mal à mon fils, je deviendrais folle. On m’appelle souvent la Mama Bear (maman ours). Je ne veux pas qu’on soit méchant avec lui, qu’on lui fasse du mal.  

L’extrême où va Isabelle est un extrême assez particulier. C’est surtout une allégorie du fait qu’on soit prêts à aller à des endroits qui ne sont pas éthiquement corrects pour nos petits. Je pense que beaucoup de parents feraient ça pour leurs enfants… Enfin, peut-être pas tous. (rires) 

Le film parle aussi de divorce, de l’impact qu’une rupture entre deux personnes peut avoir sur leur enfant. C’est ce que vous avez voulu représenter ?  

Je voulais appuyer l’idée de ce couple qui se sépare, tout en coupant cet enfant en deux. Dans la violence qu’ils se font l’un à l’autre, ils en oublient presque leur fille. Alors que c’est pour l’enfant qu’ils se battent.

J’ai vu souvent des gens se déchirer et oublier l’essentiel qui était sous leurs yeux.  

My Zoe suit une famille bilingue. Père anglais, mère française. La famille vit à Berlin. C’est quelque chose que vous avez vécu personnellement, non ?  

C’est sûr que je connais cette vie bilingue, déracinée, où tout le monde est de nationalité différente. Le père de mon fils est allemand, je suis Française, mon mari est grec et on vit à Los Angeles. J’aimais bien ajouter cette idée-là aussi au film car c’est une des raisons qui poussent ce couple à engager une stranger, une…

Une inconnue ?  

C’est ça le mot en français ! Obligée d’engager une inconnue pour garder l’enfant, car on vit dans un pays étranger, loin du reste de nos familles. La chose la plus importante dans votre vie peut finir dans les mains de quelqu’un que vous connaissez à peine.  

© Electrick Films/Tempête sous le crâne/UGC Images

Encore une fois, vous avez porté plusieurs casquettes dans la création de ce film. Réalisatrice, scénariste, actrice principale. Quel est l’inconvénient lorsqu’on touche un peu à tout ? 

Parfois, on se retrouve en surmenage. On peut craquer, il y a trop à faire. Sur ce film d’ailleurs, j’étais un peu K.O. J’étais overwhelmed, submergée. Ce film a été épuisant émotionnellement pour moi. Je m’en remets encore.  

Le film donne une ambiance très intime. On a très peu de personnages. Pourquoi avoir choisi de réaliser cette histoire presque en huis clos ?  

C’était important pour moi que cela reste dans cette cellule familiale qui se déchire, essaye de se reconnecter et n’y arrive pas. C’est un film intimiste avec des personnages proches. Rien n’amène à ce qu’on ajoute des personnages extérieurs. Ils vivent ensemble ce drame et tentent de s’en sortir, ensemble.  

En regardant My Zoe, on distingue trois parties différentes du film, comme trois chapitres. Au début, on suit le développement de la relation des trois personnages principaux. Dans le deuxième chapitre, on assiste au drame. Et dans le troisième, on voit ce qui arrive après une telle tragédie. Les trois parties sont séparées très distinctement. Pourquoi avoir voulu la jouer ainsi  ?  

Chaque acte a une notion de temps différente. 

Pendant le premier, on découvre doucement les personnages, leurs relations, leurs vies. Tout se passe calmement et on rentre dans un rythme totalement différent avec le deuxième acte où, cette fois, c’est un temps étiré que l’on ressent, dans l’hôpital en attendant les résultats, lorsque les minutes semblent être des heures. Puis, le troisième, c’est ce qu’il se passe après un tel drame. Là encore, on a pris un rythme totalement différent.   

J’ai beaucoup travaillé sur la manière de filmer les trois actes différemment, avec des lieux différents, des lumières différentes, un rythme différent. 

Pourquoi avoir choisi de quitter quasiment le réalisme de l’histoire et plonger dans la science-fiction pour ce troisième acte ?  

Le troisième acte est totalement à part du reste du film. Ce troisième volet est un peu comme une troisième vie, je voulais que le film parte sur autre chose. Il y a eu beaucoup de films sur le deuil, très peu sur la renaissance qui suit. Le deuil peut amener des conséquences plus dramatiques. J’essaye d’explorer les possibilités qui pourraient exister grâce à la science.

Depuis toute petite, j’écris des choses de science-fiction, bizarrement toujours liées à la maternité. C’est quelque chose qui m’a toujours fascinée alors ça avait du sens pour moi de faire ça. 

© Electrick Films/Tempête sous le crâne/UGC Images

Comment décrire ce film ?  

Il est assez atypique. Ce film n’est pas ce qu’on attend de moi, déjà. Il n’est pas non plus tellement dans une forme habituelle : avec les trois actes dont je vous parlais. 

Cela a été compliqué de changer de cap et ne pas faire ce qu’on attendait de vous, justement  ?  

On est amené pour le financement des films à refaire ce qui a réussi auparavant. On aimerait que je fasse dix fois la même chose, je n’aime pas ça.  

C’est justement pour cela que j’ai pris 6 ans à monter financièrement le film. Évidemment, lorsqu’on essaye de faire des choses différentes, il y a un prix. Le prix, c’est beaucoup de souffrances (rires). J’ai failli faire un autre film entre-temps mais la motivation que j’avais pour celui-ci était plus importante. Parfois, je dis que c’était plus dur de faire ce film que si je clonais un enfant (rires). C’est une blague… Mais, pas vraiment. (rires) 

En sortant de la salle de cinéma, que voulez-vous que l’on retienne de votre film ?  

Je veux qu’on se pose des questions.  

Par rapport à ce que fait Isabelle  : est-ce qu’on doit la juger d’après notre éthique ? Notre culture ?  

Comparée à tout ce qu’il passe dans le monde, toutes les violences, on se rend compte qu’Isabelle ne fait rien de mal vis-à-vis du reste d’entre nous. Elle cherche une manière de sauver son enfant, sans rien prendre à personne, sans embêter personne. Qu’est-ce qui dérange tant que ça finalement ? Qu’est-ce qui nous rend si mal à l’aise face à son projet ?  

© Electrick Films/Tempête sous le crâne/UGC Images

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