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« Fluide » – Révolution(s) sexuelles

Fluide
© Dargaud / Arte éditions

Fluide, c’est deux scénaristes de bande dessinée aux airs de loosers qui décident de poser un œil un peu désabusé sur nos sexualités modernes. À mi-chemin entre autobiographie et catharsis, Joseph Safieddine et Thomas Caddène mettent en scène une réjouissante révolution du sexe, du couple et des normes hétérosexuelles. 

Sacha et Hector sont deux dessinateurs de bande dessinée. La saga qu’ils avaient imaginée ensemble se casse la gueule. D’ailleurs, leur éditeur ne répond mystérieusement plus au téléphone. Contrairement à Sacha qui semble condamné au célibat, Hector file le parfait amour avec Jeanne, sa copine. Parfait amour qui sera vite contrarié  : Jeanne lui confie avoir envie de nouvelles expériences, d’une relation plus « fluide ». Entendre par là : plus libre. C’est-à-dire de fréquenter une fille qui lui plaît. Si elle n’entend pas quitter Hector qu’elle aime encore, celui-ci a le sentiment que cette révélation sonne le glas de leur relation. C’est officiel, ils sont en «  break  ».

D’abord looser professionnellement et maintenant en amour, Hector est au fond du trou. C’est en creusant ce fond que lui et son comparse décident d’inventer l’homme idéal. C’est comme ça qu’ils imaginent William, casanova respectueux des femmes et ouvert aux nouvelles expériences, à travers duquel ils s’apprêtent à vivre leur plus belle expérience cathartique. Puis faire l’expérience du «  modern love  » et de la sexualité fluide. 

Male gaze

Si le parti pris des auteurs semble risqué de prime abord – comme en témoigne l’ego blessé de mâle d’Hector lorsque Jeanne lui fait part de son désir –, l’entreprise prend rapidement un tour réjouissant. Fluide s’attache à suivre le cheminement du jeune homme vers l’acceptation de cette nouvelle situation, qui n’est en fait que la manifestation de la liberté de Jeanne. D’abord contrarié («  Je lui suffis pas  »), il devient parano puis carrément toxique. Un long chemin qui l’amènera tout doucement vers l’acceptation des désirs de sa partenaire. L’acceptation, aussi, du fait qu’une relation peut avoir de la valeur même lorsqu’elle n’est pas exclusive. 

Le male gaze  (regard masculin) est complètement assumé dans le scénario, qui met délibérément en scène des hommes désarçonnés par une psyché féminine qui leur échappe. Cependant, il est moins question de ce que veulent les femmes que de la redéfinition des frontières du couple dans un monde transformé par le mouvement #MeToo

Sortir des carcans hétéros

Fluide, avec le sulfureux personnage de William, guide doucement son lecteur vers une sexualité qui sort des carcans hétéronormés. Véritable catharsis pour les deux dessinateurs, ce personnage jouit d’une liberté totale. Il est en phase avec des désirs qui sont multiples et hétérogènes. À l’image de la grande liberté qu’offre le monde moderne, la sexualité de William est fluide. Elle permet de questionner la notion de couple mais aussi de remettre en cause notre définition de la valeur d’une relation. Doit-elle réellement durer pour être légitime  ? Ne compte-t-elle qu’à partir du moment où elle est exclusive ? 

La narration au travers du personnage de William entraîne aussi un basculement esthétique. De pages monochromatiques et assez ternes, on est projetés dans l’univers révolutionnaire de ce dessinateur fictif. Celui-ci n’hésite pas à déstructurer les pages et les bulles, qui se retrouvent sens dessus dessous, à mélanger des couleurs toutes plus éclatantes les unes que les autres, dans un formidable arc-en-ciel pop. Avec les codes visuels traditionnels de la bande dessinée, ce sont les poncifs de la sexualité hétéronormée qui éclatent. 

Fluide de Joseph Safieddine, Thomas Cadène et Benjamin Adam, éditions Arte/Dargaud, 19,99 euros. 

Journaliste

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