Plus de dix ans après le succès d’In The Heights à Broadway, Lin-Manuel Miranda tient sa promesse en adaptant la comédie musicale sur grand écran, avec le très attendu D’Où l’on vient, réalisé par Jon Chu.
Lin-Manuel Miranda, l’enfant béni de Broadway, l’avait annoncé dès 2008 : In The Heights connaitrait une adaptation au cinéma. Retardée par la fermeture des cinémas en pleine pandémie, la sortie du film arrive à point nommé. Réalisé par Jon Chu (Crazy Rich Asians, Sexy Dance), D’où l’on vient est un film gai et enjoué, parfait pour un début d’été et la réouverture des salles. Un West Side Story remis au goût du jour.
Lorsqu’il écrit les textes qui lanceront sa carrière, Lin-Manuel Miranda n’est pas encore sorti de l’université. Le succès est immédiat. Son style unique a l’effet d’une bombe dans le monde fermé de la comédie musicale de Broadway. Le virtuose des mots mélange hip-hop et R&B, bousculant les conventions du théâtre américain. Fils d’immigrés portoricains, le compositeur se bat dès ses débuts pour faire entendre la voix des minorités, et mettre sur le devant de la scène des jeunes artistes de couleur.
L’avant Hamilton
Avec In The Heights, Lin-Manuel Miranda rend hommage au quartier où il a grandi, et s’impose à Broadway. Mais c’est avec Hamilton que tout commence et que le compositeur se fait connaître du grand public. Présentée pour la première fois en 2015, cette comédie musicale renverse tous les codes en utilisant le hip-hop pour raconter l’histoire d’un père fondateur oublié par l’histoire, Alexander Hamilton. Si son oeuvre déclenche une frénésie sans pareille, elle lui attire aussi les foudres de la droite conservatrice. Le metteur en scène a choisi des acteurs de couleur pour interpréter les pères fondateurs des Etats-Unis, proposant ainsi le symbole fort d’une victoire sur le passé, d’une Amérique qui se reconstruit et se rapprend.
Adulé par le public, il reçoit un prix Pulitzer, plusieurs Grammys et Tonys, ainsi que le prestigieux Laurence Olivier Award. Sa carrière à peine lancée, il atteint déjà le statut de légende. His Dark Materials, Le Retour de Marry Poppins, ou encore Star Wars… il enchaîne les projets. On lui doit aussi la bande son de Moana.
Pour Hamilton, Lin-Manuel Miranda s’était entouré d’artistes inconnus mais bourrés de talent. On retrouvait par exemple Daveed Diggs, à qui l’on doit l’incroyable Blindpostting. C’est un autre vétéran d‘Hamilton, Anthony Ramos, qui incarne le personnage principal de D’où l’on vient, Usnavi. Usnavi (pour US Navy) est le fils d’immigrés dominicains. Propriétaire d’une petite supérette de quartier à New York, il rêve de tout quitter pour aller retrouver la plage sur laquelle il est né, celle que son père aimait tant. Partagé entre sa quête d’identité et une histoire d’amour naissante, Usnavi emmène le spectateur à la découverte d’un quartier menacé de disparition : Washington Heights.
Une ode aux « Dreamers »
Si D’où l’on vient a, en apparence, tout d’une comédie musicale gentillette, elle présente un sous ton résolument politique. Les personnages sont des « Dreamers ». Ce terme désigne les jeunes immigrés de moins de trente ans qui ont vécu la majorité de leur vie sur le sol américain. Si Barack Obama avait dédié une partie de son mandat a leur assurer des droits, c’est tristement à Donald Trump qu’on doit d’avoir remis ce mot dans toutes les bouches.
Lors de sa campagne en 2017, l’ex-président américain promet de révoquer le programme de protection mis en place par Obama, et d’ordonner l’expulsion des « Dreamers » dès son arrivée à la Maison Blanche. Après des années de bataille juridique, la Cour Suprême bloque définitivement l’action en justice de Trump en Juin 2020. Une véritable victoire pour les 700 000 jeunes concernés par le programme de protection. D’où l’on vient parle des rêves qui les habitent, mais aussi de leur difficulté à vivre dans un système qui menace constamment de les laisser pour compte.
Le film de Jon Chu joue sur le double sens du mot dreamer. Avec leur « suenitos », ou petits rêves, ces personnages se battent pour leur droit d’imaginer un lendemain plus heureux. La comédie musicale célèbre l’espoir, l’ambition et l’amour. Elle transporte au coeur d’une communauté soudée, rassemblée autour d’un héritage et d’une fierté commune.
Des erreurs fondamentales
S’il est sans aucun doute l’un des artistes les plus inventifs de sa génération, Lin-Manuel Miranda n’est pas pour autant à l’abri des fautes. Dès la sortie du film, les spectateurs ont dénoncé le manque cruel de représentation de la communauté latino noire de Washington Heights, parmi les personnages principaux. Un coup dur pour les fans d’un compositeur qui s’était pourtant battu pour l’inclusivité à Broadway. Dans un message d’excuses, il reconnaît avoir échoué dans son portrait du quartier new-yorkais. Il s’engage par ailleurs à faire mieux lors de ses prochains projets.
D’où l’on vient est une évasion, en même temps qu’une invitation à célébrer le moment présent. C’est un film agréable, qui doit beaucoup aux textes originaux de Lin-Manuel Miranda, tout en perdant une partie de leur magie. Le passage du théâtre au grand écran est particulièrement difficile, et les choix de mise en scène de Jon Chu sont trop inscrits dans leur époque pour survivre au temps qui passe. Parfois un peu superficielle, son adaptation est sauvée par des seconds rôles attachants. Olga Merediz, notamment, se distingue par une performance touchante, qui vaut au film d’être cité pour une potentielle nomination aux Oscars de la meilleure chanson originale. Si elle n’est pas mémorable, cette comédie musicale permet tout de même de passer un bon moment, et saura rassembler petits et grands pour un retour en salles sous le signe de la légèreté et de la joie de vivre.