LITTÉRATURE

« Carnets d’estives » – On n’est jamais mieux que chez soi

© Natacha Boutkevitch, éditions Wildproject

Roman qui ressemble plutôt à un journal de bord, Carnets d’estives raconte la quête de grands espaces de son auteur Pierre Madelin. Et se perd un peu entre nature utopique et idéaux anticapitalistes.

Carnets d’estives est sous-titré « Des Alpes au Chiapas ». Son auteur Pierre Madelin, qui vit entre la France et le Mexique, y entremêle ses expériences, de son poste d’aide-berger dans les Alpes à sa découverte du Chiapas, en passant par son expérience à vélo désastreuse aux États-Unis. Il y fait le récit – souvent désenchanté – de la montagne et de ses transformations. Ses réflexions sur l’écologie et le capitalisme prennent racine dans son expérience de la montagne. Sans que l’on arrive vraiment à comprendre si ce sont les siennes, ou celle d’un narrateur fictif. Les transitions entre ces différentes expériences sont parfois un peu rudes, mais toutes ont pour point d’ancrage cette quête de grands espaces.

À la recherche du désert

Que ce soit en France, au Mexique ou aux États-Unis, le narrateur de ces Carnets d’estives est à la recherche d’endroits désertiques. Il étouffe dans les forêts tropicales, l’exubérance des grands parcs américains le rend malade. Mais dans la haute montagne, au dessus des arbres, seul au milieu de zones immenses et vierges de traces humaines, il respire. L’amour de la nature est central dans cet ouvrage, à condition qu’il s’agisse d’une nature sauvage. Pas question de s’extasier devant l’aménagement touristique de la montagne, qui remplit le narrateur de consternation.

« Pour que [le monde] demeure un espace de vie et de liberté, un espace sauvage et dangereux. Parce que le réel, même inquiétant, est toujours préférable à sa fiction, aussi rassurante soit-elle. »

Carnets d’estives, Pierre Madelin

La nature est corrompue par le tourisme et les grands principes capitalistes qui dominent selon l’auteur notre siècle. Il assiste impuissant à la « disneylandisation des paysages. » Les termes d’industrialisation, de mise en spectacle ou tout simplement de destruction reviennent à de nombreuses reprises au fil du texte. Cet angle particulièrement intéressant devient cependant rapidement répétitif. Dans ce récit par association, le.a lecteur.ice se perd un peu entre les différents lieux, qui se succèdent et reviennent. Le récit qui semble d’abord être chronologique multiplie les sauts temporels, sans parfois de donner de cadre temporel précis. Il faut réussir à se détacher du concept d’un récit d’une expérience personnelle : c’est le récit d’une universalité de la nature.

Estives : la figure du berger

L’estive est la période de l’année où les troupeaux paissent sur les pâturages de montagne. Par métonymie, c’est aussi le pâturage de montagne et la garde du troupeau en montagne. Les troupeaux n’ayant pas (encore) la capacité de rejoindre seuls les pâturages, le métier de berger – et d’aide berger – n’a pas disparu de nos sociétés. Le portrait que dresse Pierre Madelin de ces bergers paraît à plusieurs reprises un peu démesuré. Entre la comparaison aux soldats déserteurs de la Première Guerre mondiale et une grivoiserie – un peu lourde – sur le célibat, l’hommage sonne trop grandiloquent. Pourtant, les questions soulevées par l’auteur sont importante. La protection de la montagne et de ses métiers, dans une société qui modernise et bétonne tout à une vitesse affolante, est abordée elle aussi à plusieurs reprises avec justesse. Mais le.a lecteur.ice perd ces pointes justes dans un dédale géographique propre au cheminement de pensée de leur auteur.

« Le berger n’est jamais totalement actif, jamais totalement oisif. Ce métier, c’est un peu l’art d’être là. »

Carnets d’estives, Pierre Madelin

Ces Carnets d’estives restent un bel outil pour aborder un ensemble de question socio-économiques propres à leur auteur. Et visiter par procuration ces espaces qui oscillent entre nature presque menaçante et industrialisation galopante. Pour Pierre Madelin, rien ne surpasse la beauté des paysages alpins. Surtout pas les parcs américains.

Carnets d’estives (Des Alpes au Chiapas), aux éditions Wildproject, 9€

Journaliste

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