CINÉMA

« Vaurien » – Voyage au bout du malaise

© 10:15 ! Productions

Dans son film de « mauvais genre  », Vaurien, Peter Dourountzis prend pour prétexte l’histoire d’un tueur en série afin d’aborder des problèmes structurels de société. De façon détournée, le réalisateur pointe du doigt la facilité avec laquelle un homme, tueur de femmes, peut se fondre dans un environnement marqué par la misogynie et le racisme ordinaire.

Un homme aborde une jeune femme dans un train. Il lui adresse la parole. Elle ne répond quasiment pas. Puis il enchaine, un peu trop longuement. La séquence s’allonge, tout comme les plans. Toujours un peu trop long. La durée de la prise excède toujours – de peu – sa juste durée. Enfin, le train arrive en gare. L’homme sort. Il s’agit de Djé (Pierre Deladonchamps), dont on ne sait rien, sinon qu’il vient de sortir de prison.

Observation participante

Dès les premières minutes de Vaurien, Peter Dourountzis installe une atmosphère de malaise. Il déploie une mise en scène efficace, souvent construite en champ / contre-champ entre le visage charmeur de Djé et celui des jeunes femmes qu’il aborde aléatoirement. Son charme est violent, ses regards offensants. Au fur et à mesure que les séquences avancent, il devient clair pour le spectateur que l’homme à l’allure pourtant honnête est un prédateur. Et pourtant, la simplicité du jeu de Pierre Deladonchamps, tout en normalité, permet à Djé de susciter de l’empathie chez le spectateur. Déjà vu dans le rôle d’un pédocriminel dans Les Chatouilles (2018) d’André Bescon et Eric Métayer, l’acteur au regard séducteur détonne dans ce décor.

Pierre Deladonchamps incarne Djé © 10:15 ! Productions

En faisant retour sur le quotidien d’un tueur en série, Peter Dourountzis parvient à mettre en évidence les mécanismes tacites d’absorption d’un tel criminel dans la société. En effet, le réalisateur porte une attention toute particulière à l’élaboration d’une tension propre au moment qui précède l’agression. Dans un bus, dans un ascenseur ou dans une rue sombre, le spectateur est confronté à ce qu’il y a de pire pour lui  : l’avant. Les amateurs de série B ou de films sanglants seront déçus. Peter Dourountzis prend le parti d’ellipser toutes les scènes de violences. En accompagnant le point de vue du criminel, il s’agit de provoquer un renversement de perspective. Chacun (le masculin est volontaire) peut, l’espace d’une fiction, sentir la menace du regard prédateur peser sur lui et ce quotidiennement.

Habiter les marges

Peter Dourountzis inscrit donc les féminicides perpétrés par Djé dans l’économie de la société. Djé est un caméléon. Parce qu’il est un homme blanc, il échappe toujours à la police. L’espace public est sien.

Toutefois, le réalisateur fait appel à une galerie de personnages secondaires qui dessinent les formes d’une ville marginale. La caméra suit les errances de Djé qui, libre d’aller où il veut, s’aventure dans des espaces peu visibles au cinéma. L’une des forces du film réside aussi – et peut-être surtout – dans ce réinvestissement des lieux dans lesquels le spectateur ne peut aller. La caméra dévoile d’autres façons d’habiter la ville que ce soit dans un squat, un dortoir de travailleurs clandestins ou encore dans la rue la nuit.

Ophélie Bau incarne Maya © 10:15 ! Prodcutions

C’est Maya, incarnée par Ophélie Bau, qui ouvre une échappatoire pour le spectateur. Résidente du squat elle entame une relation avec Djé. Maya s’affirme comme un personnage «  vrai  », tiraillé par des contradictions qui scellent son authenticité. A l’inverse de Djé, elle hésite, pousse des coups de gueule, aime. Avec les autres personnages secondaires, elle incarne cet élan de vie qui achoppe sur les mensonges de Djé.

Par contraste, Djé semble insignifiant, dénué d’intérêt. Rétrospectivement, l’homme sorti du train apparait comme une coquille vide, littéralement un vaurien. Tout est noir chez lui, sans nuances. Au cœur de cette géographie urbaine des marges, le vaurien n’habite pas la ville, il la traverse. Jusqu’à ce qu’elle parvienne enfin à expulser ses monstruosités hors de son organisme.

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