LITTÉRATURE

« Sur quoi repose le monde » – Contemplations écologiques

Sur quoi repose le monde
© éditions Gallmeister

La philosophe et amoureuse de la nature Kathleen Dean Moore revient sur le devant de la scène avec Sur quoi repose le monde. Un récit autobiographique qui résonne comme une méditation sur la beauté de la nature et se demande ce que signifie aimer un lieu.

La semaine, elle enseigne la philosophie à l’université. Le week-end, elle chausse ses bottes de pluies et enfile son ciré pour partir camper dans la nature. Dans ces excursions régulières, elle emmène Frank son mari, Erin et Jonathan ses enfants. Ses élèves aussi, parfois. Ensemble, à bord d’un bateau ou à l’orée d’une petite île où la nature règne sans partage, ils se livrent à la contemplation de toutes ces choses que, dans la vie moderne, on ne prend plus le temps de regarder.

Avec Sur quoi repose le monde, Kathleen Dean Moore se demande de quelle manière on peut s’attacher, aimer et chérir un lieu. Si cette affection peut être comparable à celle que l’on porte à une personne. Elle se questionne sur ces décors qu’elle a traversés au cours de sa vie. Ils semblent anecdotiques et pourtant, la douleur ressentie à la vue d’une forêt de son enfance brûlée par le feu, elle, ne l’est pas. 

Délicieuses méditations

Kathleen Dean Moore distille avec ce roman une philosophie de la nature proche de la contemplation. Chaque paysage aperçu et apprécié est décrit et donne au texte des airs de méditation. Il s’agit d’observer la faune et la flore, les mouvements de la nature. De se rendre compte de la beauté des choses du monde sauvage. Ces observations distillent une petite musique très reposante. L’autrice dessine un nouveau rapport au temps basé sur celui de la nature elle-même. À rebours des modes de vie citadins où tout semble toujours aller très vite. 

«  Des quatre coins de l’horizon, des silhouettes sombres arrivaient, ailes tendues. Une douzaine d’autres tétras surgirent alors de nulle part, déployant des collerettes blanches puis les repliant sous des plumes mouchetées devenues, au fil des générations, de la couleur même de la terre végétale.  »

Kathleen Dean Moore, Sur quoi repose le monde

Dès lors, aimer un lieu ne consiste pas seulement à l’occuper. C’est aussi en prendre soin, veiller à ce qu’il ne disparaisse pas. Veiller à ce que la faune et la flore qui le peuplent demeurent saines et sauves. Parce que, c’est là-dessus que repose le monde. La philosophe, en pédagogue, étaie sa réflexion sur le rapport qu’entretiennent les hommes à la nature. Leur grande imprudence de penser, depuis plusieurs centaines d’années déjà, que l’homme est un être à part, déconnecté des réalités du monde organique.

Entre deux soirées passées à contempler le ciel étoilé depuis son île sauvage, l’autrice déconstruit ces mythes que l’humanité se raconte. Pour vivre en paix, il faut accepter d’appartenir à ce monde sauvage, le chérir. Faire corps avec ces milliers de paires d’yeux qui la regardent lorsqu’elle amarre le bateau au bord du lac dans lequel elle passe ses vacances. 

Aller plus loin

Si le point de vue de Kathleen Dean Moore est passionnant, celui-ci gagnerait à être approfondi. Si respecter ce «  sur quoi repose le monde  » est essentiel, comment redessiner le rapport que nous entretenons avec les animaux  ? Dans un chapitre, l’autrice s’émeut d’avoir écrasé une souris durant son sommeil. Pourtant, dans un autre, elle explique pêcher du poisson (avant de le manger) ou consommer de la viande. S’attrister de la mort de la souris induit que l’on s’attriste de la même façon de la mort du poisson. De la même manière que regretter que les hommes disposent comme ils le font du monde sauvage suppose que l’on cesse, soi-même, de l’exploiter et de le consommer. 

«  Les étudiants comprirent que chaque décision qu’ils prennent, chaque action qu’ils font ont des répercussions dans le monde réel, le monde de l’eau et du ciel et de l’effort. Aussi doivent-ils assumer la responsabilité de leurs actes, reconnaître que tout ce qu’ils font ou ne font pas crée le monde tel qu’il sera l’instant d’après.  »

Kathleen Dean Moore, Sur quoi repose le monde

Pour une éthique de la nature

Sur quoi repose le monde n’est guidé par aucun fil conducteur. Les chapitres se côtoient et abordent chacun des moments différents de la vie de l’autrice. À chaque épopée, chaque réflexion, son passage. Pourtant, la pensée sans cesse entamée et renouvelée par Kathleen Dean Moore mérite qu’on l’approfondisse. Mieux encore que de méditer sur la beauté d’un monde sauvage que l’on observerait ponctuellement, l’autrice pourrait se demander comment habiter la terre sans nuire, au quotidien. 

Puisque si aimer un lieu signifie le respecter, alors il faut trouver le moyen d’habiter sans nuire. Visiter des îles inhabitées pendant les vacances, partir à l’aventure avec sa famille et s’émerveiller à la vue d’une nature brut … Ces sorties constituent la première étape d’une longue réflexion autour de laquelle la philosophe tourne sans jamais l’amorcer complètement. Ainsi, plusieurs questions qui mériteraient d’être posées restent en suspend. Comment respecter le vivant  ? Comment conserver le monde habitable  ?

Apprécier la beauté du monde, c’est aussi se poser la question de sa préservation. Une bonne philosophie est une philosophie qui ne s’en tient pas seulement à son volet théorique. 

Sur quoi repose le monde de Kathleen Dean Moore, éditions Gallmeister, 22,80 euros. 

Journaliste

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